Histoire de l'argent
Prix éditeur : 20,00 €
Collection : CHRISTIAN BOURGOIS
Éditeur : CHRISTIAN BOURGOIS
EAN : 9782267025255
Parution : 22 août 2013
Pagination : 252 p.
Poids : 252 g.
Coup de cœur
Magnifique exploration, à travers le destin d’une famille argentine, de la dépendance et du rapport à l’argent.
Alan Pauls, écrivain né en 1959, était un enfant en cette période troublée des années 1970 en Argentine, comme le héros du livre, un jeune garçon à l’acuité extrême frappé par l’énigme de l’argent.
Au début du roman, l’enfant, alors âgé de quatorze ans, voit arriver dans la maison de son beau-père le cadavre d’un ami de la famille, mort dans un accident d’hélicoptère alors qu’il emportait un attaché-case plein d’argent dans une puissante entreprise sidérurgique touchée par un conflit syndical, un argent obscur censé dénouer la situation, capable de tout résoudre ou de tout faire exploser. Pour l’enfant les traces de l’accident sont le cadavre, et cette mallette étrangement volatilisée dans le crash, parabole de l’obscurité et l’irrationalité de l’argent.
L’histoire de l’Argentine des années 70, celle de la lutte armée et de la violence d’état, n’est ici qu’un prétexte. La grande histoire est présente par la démence inflationniste, contexte à cette histoire d’une famille de la classe moyenne. C’est le récit du rapport intime, de la passion spécifique ou bien de la souffrance que génère pour chacun le rapport à l’argent : le père magnifique, passionné de nombres, de calcul et de jeu, la mère, héritière aride dont on ne découvre réellement le rapport à l’argent qu’à la toute fin du livre, et l’enfant tentant de déchiffrer le pathos de l’argent, le délire de ces nombres qui loin de rationaliser l’émotion l’amplifient en folie multiforme, filtre à l’aune duquel se mesurent la mort, l’amour, la vieillesse et la vie.
"Mais compter, en plus, au sens de l’action physique, comme lorsque l’on dit compter des billets, est quelque chose qui le saisit depuis qu’il est tout jeune, une fois qu’il a un après-midi libre et accompagne son père lors de son périple au centre-ville, où celui-ci travaille, et qu’il le voit encaisser des chèques dans les banques, payer des billets dans les compagnies aériennes, acheter ou vendre des devises étrangères dans les bureaux de change, et qui le saisira toujours, jusqu’aux derniers jours lorsque, quarante-deux ans plus tard, à l’hôpital, un peu avant l’infection pulmonaire qui va le condamner au masque à oxygène et à l’intubation, son père choisira dans une liasse déjà considérablement écornée, les deux billets de cinquante pesos qu’il a décidé de donner comme pourboire « avant qu’il ne soit trop tard », comme il le dit lui-même, à l’infirmière du matin qui, à sa grande surprise, lui parle allemand tandis qu’elle lui change la sonde, lui fait un piqûre ou lui prend la température. Personne n’arbore un tel aplomb, une telle efficacité élégante et hautaine, qui transforme le fait de payer en une action souveraine et fait oublier le caractère de réponse, toujours secondaire, qu’il possède en réalité."
Dernier roman d’une trilogie, après Histoire des larmes et Histoire des cheveux, Histoire de l’argent est un roman éblouissant par la phrase d’Alan Pauls, cette phrase héritière de Proust, sinueuse et truffée de sens, capable d’embrasser en quelques lignes tout l’espace entre naissance et mort.