Le Vice-Roi de Ouidah
Prix éditeur : 7,50 €
Collection : Les Cahiers rouges
Éditeur : GRASSET
EAN : 9782246244639
Parution : 5 février 2003
Pagination : 165 p.
Poids : 159 g.
Coup de cœur
À peine romancée, la vie d'un négrier brésilien, frère de sang du roi d'Abomey et fondateur mythique du Bénin moderne.
Publié en 1980, ce livre du romancier-voyageur anglais Bruce Chatwin (mondialement célèbre pour son "En Patagonie" de 1977) narre avec vigueur l'une de ces extrêmes bizarreries de l'histoire que peut parfois découvrir le curieux attentif : librement adaptée au cinéma à partir du roman par Werner Herzog ("Cobra Verde"), voici donc la vie de Francisco Manuel da Silva, métis brésilien de basse extraction mais redoutablement déterminé, qui deviendra au début du XIXème siècle capitaine de navire négrier, avant d'obtenir, installé à Ouidah au Dahomey (actuel Bénin), plus grand port négrier d'Afrique à l'époque, au prix de terribles aventures, vexations, inconforts et retournements de situation, en vrai "entrepreneur", le monopole de la traite d'esclaves au Dahomey avec la "bénédiction" du roi d'Abomey, devenu son frère de sang, et de fonder, grâce à une très abondante descendance d'enfants naturels l'une des grandes "dynasties" dirigeantes du Bénin d'aujourd'hui !
N'ayant pu à l'époque combler tous les interstices de l'histoire (réelle) de la famille De Souza (dont fait partie notamment la femme de l'actuel président du Bénin), Bruce Chatwin prit le parti d'imaginer ces quelques vides, et d'appeler son héros Da Silva, ce qui ne l'empêcha pas d'avoir quelques démêlés avec les autorités locales de l'époque... à propos d'une histoire vieille de plus de 150 ans... Mais encore aujourd'hui, certains paradoxes tenaces n'aiment pas être rappelés de manière trop crue...
Un livre passionnant, légèrement desservi toutefois par un style alternant parfois trop violemment une certaine fadeur et un lyrisme excessif...
"Un soir où l'harmattan soufflait, elle rencontra un agent anglais qui remontait de la plage. Il lui parla d'un navire marchand ancré dans la rade. À bord il y avait un professeur venu pour recueillir les plantes et les animaux du Dahomey.
Cette nuit-là elle ne put trouver le sommeil et tenta d'imaginer les traits du professeur. À l'aube elle enfila une robe de mousseline blanche brodée de fleurs bleues. Elle noua un ruban à son chapeau de paille et accompagna Mr. Townsend jusqu'au rivage.
Des crabes s'enfuirent précipitamment devant eux quand ils descendirent le talus de sable blanc. À travers la brume se profilaient la coque et les vergues agitées par le roulis : puis, comme le temps s'éclaircissait, ils aperçurent le rouge du pavillon et les points noirs que formaient les passagers et l'équipage.
Mais le ressac était trop fort. Aucun passager ne put débarquer et les kroumans s'en retournèrent dans leurs cases.
Cinq jours plus tard, la mer se calma. Mr. Townsend envoya le signal "Paré". Elle regarda l'avant de la pirogue se dresser au milieu de l'écume et le dos des kroumans sous le soleil changeant.
Des requins passaient entre les lignes extérieures et intérieures des brisants, au cas où l'embarcation chavirerait : on disait qu'ils avaient une préférence pour la chair des Blancs. Le sorcier debout dans l'eau faisait cliqueter son chapelet à l'arrivée de la première pirogue. Elle priait également. Elle supportait difficilement le spectacle de ces hommes qui pagayaient pour maintenir leur embarcation en droite ligne."