« Ce qui, pour les pouvoirs publics, est désormais primordial, c’est leur efficacité et leur continuité. Nous vivons en un temps où des forces gigantesques sont en train de transformer le monde. Sous peine de devenir un peuple périmé et dédaigné, il nous faut, dans les domaines scientifique, économique, social, évoluer rapidement. […] Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent, par conséquent, commander nos institutions. La nécessité de rénover l’agriculture et l’industrie, de procurer les moyens de vivre, de travailler, de s’instruire, de se loger, à notre population rajeunie, d’associer les travailleurs à la marche des entreprises, nous pousse à être, dans les affaires publiques, dynamiques et expéditifs », expliquait le général de Gaulle le 4 septembre 1958 pour justifier et fonder le passage à une cinquième République.
C’était il y a soixante ans, et on ne saurait mieux décrire la situation d’aujourd’hui, mot pour mot, à la réserve près que la population « rajeunie » d’alors a beaucoup vieilli. Elle voit cette exigence « d’efficacité et de continuité » s’illustrer de nos jours dans des régimes comme celui de la Chine, aux antipodes de l’évolution qu’a connue notre République. A force de se vouer à toutes sortes d’ayant-droits, privilégiant l’égalité et la fraternité, celle-ci a perdu des degrés de liberté. Pire, s’étant ainsi soumise au « jamais assez », elle passe (injustement) pour inefficace. Comment « être dans les affaires publiques, dynamiques et expéditifs » sans rien changer au « modèle français » est devenu un problème insoluble, causant durant trente ans l’essai décevant et discontinu de toutes les formules politiques envisageables, jusqu’à devoir finalement opter entre celles qu’on n’envisageait pas , et choisir enfin l’audace.
Tout se passe comme si les démocraties étaient prises à contre-pied dans le monde présent : par l’évolution technologique qui dépouille l’autorité de tout magistère au profit des individus, par les forces qui orientent le monde, et sur lesquelles le suffrage n’a guère prise. Au regard de cette mutation globale, les fautes et carences qui expliqueraient la crise de la démocratie dans tel ou tel pays sont secondaires. Elle est le symptôme d’une transformation d’ensemble qui met partout en cause les formes et principes de la gouvernance.
Ayant cependant à l’esprit que « le reniement de l’idéal démocratique de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine » serait nécessairement une nouvelle fois la matrice d’une régression dramatique de l’humanité, la Fondation Prospective et Innovation et la revue Futuribles concourent par le présent ouvrage à frayer les chemins d’un avenir pour la démocratie. « C’est en un temps où il lui fallait se réformer ou se briser que notre peuple, pour la première fois, recourut à la République », observait De Gaulle le 4 septembre 1958. Ce souvenir fécondait ce jour-là la création de la Ve République. Il reste germinal en 2018.