Rue Katalin
Prix éditeur : 22,50 €
Collection : Viviane Hamy
Éditeur : VIVIANE HAMY
EAN : 9782878582369
Parution : 4 octobre 2006
Pagination : 232 p.
Poids : 322 g.
Coup de cœur
Bien des années après, les événements de la rue Katalin, à Budapest en 1942, s'imposent aux protagonistes...
Magda Szabo, décédée en 2007, est certainement l'une des plus célèbres et plus traduites écrivaines hongroises.
À son très beau La porte de 1987 (Fémina étranger en 2003 en français), je préfère pourtant le plus ancien Rue Katalin (1969, traduit en français en 1974), dont l'utilisation subtile de touches fantastiques indécises (comme si le film Les autres d'Amenabar avait été beaucoup plus fin encore...) sert un véritable moteur narratif.
De très longues années après une série d'événements anodins ou tragiques ayant eu lieu rue Katalin à Budapest durant la seconde guerre mondiale, les protagonistes, maintenant âgés, ayant quitté le quartier de leur jeunesse, se souviennent... Y compris de celle trop tôt disparue, leur camarade juive de jeux d'enfants et d'adolescents, dont la famille fut emportée par la tourmente, sans que le rôle des autres enfants ne soit totalement clair... Organisée en une recension de moments-clé et de flashbacks qui éclairent ou au contraire assombrissent par moments toute tentative d'élucidation de ce passé, la narration progresse pourtant, convainquant progressivement le lecteur de l'extrême vulnérabilité de la mémoire, de sa malléabilité et de sa possible "réduction à l'essentiel", dans une quête qui, curieusement et malgré des registres fondamentalement différents, n'est pas étrangère à celle d'un Claude Simon dans La route des Flandres, ni même à celle d'un Rodrigo Fresan dans La vitesse des choses.
Un grand roman, envoûtant et mystérieux.
Ainsi, les premières phrases donnent le ton :
Vieillir, cela ne se passe pas comme dans les livres, ce n'est pas plus ce que décrit la science médicale.
Aucune oeuvre littéraire, aucun médecin n'avait préparé les habitants de la rue Katalin à l'éclairage impitoyable que l'âge apporterait dans l'obscure galerie qu'ils avaient parcourue presque inconsciemment pendant les premières décennies de leur vie ; ni à ce qu'il mette de l'ordre dans leurs souvenirs et leurs craintes, modifie leur jugement et leur échelle de valeurs. Ils savaient qu'ils devaient s'attendre à certains changements biologiques, que leur corps avait entrepris un travail de démolition qu'il poursuivrait aussi minutieusement qu'il s'était construit, depuis l'instant de leur conception, en vue du chemin à accomplir. Ils avaient accepté de voir leur physique se transformer, leurs sens s'affaiblir, leurs goûts, leurs habitudes et même leurs besoins s'adapter à ces changements ; de devenir gourmands ou de perdre l'appétit, d'être craintifs, voire susceptibles. Ils s'étaient résignés à avoir du mal à dormir et à digérer, fonctions dont la régularité leur semblait jadis aussi naturelle que la vie même. Mais nul ne leur avait dit que perdre la jeunesse est effrayant, non par ce qu'on y perd, mais par ce que cela nous apporte. Et il ne s'agit pas de sagesse, de sérénité, de lucidité ou de paix, mais de la conscience de ce que tout se décompose.
Ils s'étaient soudain rendu compte que le temps avait désagrégé leur passé, alors que durant leur enfance et leurs années de jeunesse, ils l'avaient considéré comme un ensemble compact et bien cimenté. Tout s'était dissocié, rien ne manquait de ce qui leur était arrivé jusqu'à ce jour, et pourtant ce n'était plus la même chose. L'espace avait été divisé en lieux, le temps en moments, les événements en épisodes et les habitants de la rue Katalin comprirent enfin que de tout ce qui avait constitué leur vie, seuls quelques lieux, quelques moments, quelques épisodes comptaient vraiment, le reste ne servait qu'à combler les vides de leur fragile existence, comme les copeaux dans une caisse préparée pour un long voyage empêchent le contenu de se briser.
Alors ils surent aussi que la différence entre les vivants et les morts n'était que qualitative, qu'elle ne comptait pas beaucoup, ils surent que dans la vie de chacun il n'y a qu'un seul être dont il puisse crier le nom à l'heure de la mort.