Terra nostra 1
Prix éditeur : 13,70 €
Collection : Folio
Éditeur : FOLIO
EAN : 9782070381418
Parution : 12 septembre 1989
Poids : 383 g.
Coup de cœur
Immense roman : réinvention à portée universelle de la légende noire de l'Espagne.
Publié en 1975, traduit en 1979 par Céline Zins chez Gallimard, le huitième roman du Mexicain Carlos Fuentes, après les coups de tonnerre que furent « La plus limpide région » (1958), « La mort d’Artemio Cruz » (1962) et « Zone sacrée » (1967), était à la fois, indéniablement, son plus ambitieux à date, et celui de la consécration, avec l’obtention du prix Romulo Gallegos, généralement considéré comme la plus haute récompense littéraire en Amérique hispanophone.
Le Seigneur, roi d’Espagne fictif créé à partir de Philippe II en y intégrant des touches de certains de ses prédécesseurs, descendant d’une dynastie ô combien dégénérée, se lance dans la construction du palais mausolée de l’Escurial, dans les solitudes désolées des hauts plateaux madrilènes, au service d’une foi aussi glacée, absolue et mortifère que résolument contre-réformiste, tout en parachevant les vexations et persécutions à l’égard des Musulmans et des Juifs du Royaume, engloutissant sa richesse personnelle - et le crédit qui lui restait après plusieurs décennies de guerres religieuses aux quatre coins de l’Europe - dans cette construction monumentale aux allures de folie grandiose, précipitant ainsi par l’accroissement des impôts et du mécontentement l’émergence des classes même qu’il méprise.
Sous l’ombre de son « fidèle » Guzman, grand ordonnateur des chasses royales, maître des faucons et des lévriers, le Seigneur, en proie aux affres de la mortification au sein d’une famille repue d’inceste et de mort, voit surgir, au prix d’un subtil anachronisme enchevêtré dans le miroir des éventualités, la possibilité d’un nouveau monde, à l’ouest, non pas du fait d’une expédition commanditée par tel ou tel souverain, mais par la navigation hasardeuse d’un vieillard, suffisamment désespéré pour avoir cherché au-delà de l’océan un lopin de terre où il pourrait, enfin, échapper à l’officieux esclavage post-féodal.
Lorsque se lèvent les symboles et les mythes portés par de mystérieux jeunes hommes à six doigts et à la croix rouge inscrite à même la chair de leur dos, une tempête dévastatrice se lève sur cette Espagne prématurément vieillie et prête pour la mort lente, alors même que la conquête de l’Amérique se profile à peine, convoquant tour à tour les figures essentielles de Don Juan, de scientifiques secrets, de moines comploteurs pour le plus grand bien de l’humanité, de récits de l’auguste Rome sous Tibère (déclin et chute d’un empire dans et par la folie préfigurant déjà, avant même l’essor de l’empire espagnol, sa dissolution misérable), le tout sous l’œil aigu d’un chroniqueur manchot rescapé de la bataille de Lépante…
Roman « total », comme il fut dit dès son apparition, chronique hallucinée et férocement imaginative de la mort d’un Empire au moment même de sa naissance, brassage forcené de deux mille ans de cultures plurielles confrontées à leur anéantissement dans la folie religieuse, saisie mythographique d’un instant clé de la lutte pour la possibilité de l’amour, de la bienveillance et du pluralisme (comme le lit magnifiquement Vincent Message dans son récent « Romanciers pluralistes »), ce chef d’œuvre emblématique propose à la fois une réinvention de portée universelle de la légende noire de l’Espagne, une recréation des mythes fondateurs du Mexique et de l’Amérique métissée et une fenêtre abyssale sur le fait religieux lorsqu’il devient absolutiste et mortifère.
« Fray Julian se rappela son ami perdu, le Chroniqueur. Il aurait aimé lui dire en ce moment : « Laisse à d’autres le soin d’écrire les événements apparents de l’histoire : les guerres et les traités, les querelles héréditaires, la concentration ou l’éclatement du pouvoir, la lutte des Etats, l’ambition territoriale, toutes choses qui continuent de nous rattacher à l’animalité. Toi, ami des fables, écris l’histoire des passions sans laquelle l’histoire de l’argent, du travail et du pouvoir demeure incompréhensible. » »