Les départs exemplaires
Prix éditeur : 17,90 €
Collection : Verticales
Éditeur : VERTICALES
EAN : 9782070138265
Parution : 27 septembre 2012
Pagination : 232 p.
Poids : 290 g.
Quatrième de couverture
Ce qu'en dit Charybde 2 sur Charybde 27 le blog :
Le papillon restait immobile, ses yeux à facettes dirigés vers la végétation, ses yeux de velours peint braqués ronds sur l’homme qui sans bouger non plus l’observait. Très haut dans le triple baldaquin de feuillages qu’aucun soleil ne pénétrait, un oiseau jeta son cri d’alarme, un avertissement, un oracle. En route vers quelque charogne, une procession de fourmis longeait un arbre mort effondré dans un chaos de lianes et de fougères où, intactes encore, des bromélies épanouissaient leurs bouquets en calices luisants de sucs et de rosée. La stridulation des cigales dominait le tumulte de la jungle, la criaillerie des perroquets, le glapissement des singes et, lointain, le piaillement dérisoire des vautours planant sur la cime des arbres. Rien ne se perdait en ce cosmos où tout fructifie et se putréfie, avale, digère, rejette, lutte, copule, germe, éclot, périt et se dissout pour croître encore en d’immémoriales marées roulant les unes sur les autres. Les humeurs de l’insecte cheminent dans les veines de l’écorce ; liquéfié, le reptile renaît dans la pulpe fétide du fungus ; la plume devient feuille ; la fleur se change en écaille ; les œufs et les laitances éclatent en myriades vitales ; la mort embrasse la résurrection, toutes deux gémellées comme le jour et la nuit.(« Les derniers secrets de Mr. T »)
Cela faisait déjà quelque temps que l’excellent Romain Verger(dont on aime tant, sur ce blog et chez Charybde, les trois romans parus chez Quidam – « Zones sensibles » en 2006, « Grande Ourse » en 2007 et « Forêts noires » en 2010 -, celui publié chez Le Vampire Actif – « Fissions » en 2013 – et le recueil de nouvelles chez L’Ogre – « Ravive » en 2016) m’encourageait vivement à me lancer dans la lecture de Gabrielle Wittkop, qu’il considère comme l’une de ses influences importantes. Avec la réédition prochaine de ses « Litanies pour une amante funèbre » par Le Vampire Actif, justement (et une soirée y sera spécialement consacrée à la librairie Charybde le mercredi 12 juillet prochain), il était plus que temps de céder à cette sirène mélodieuse et potentiellement grinçante.
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Viendrait le temps où, en une image aussi relative qu’incomplète, Miss Idalia Dubb se comparerait à Bonnie Dundee, le Highlander fidèle au roi James et dont le sang était si ardent que l’eau bouillait dès qu’il y plongeait les pieds. « Hors ce qui venait de lui-même », rien ne pouvait atteindre Bonnie qui avait un pacte avec le Diable, aussi la balle qui mortellement le frappa était-elle faite d’un de ses boutons d’habit, vendu à l’ennemi par un valet félon. « Que je sois Dundee », disent les Écossais dans une catastrophe. Aussi, la situation catastrophique de Miss Idalia Dubb, dix-sept ans, son agonie et sa mort seraient-elles provoquées par ce qui viendrait d’elle-même, par son petit pied dans sa petite bottine, ainsi que par une tacite trahison. Examinons l’instrument d’une fatale chaîne de réactions. (« Idalia sur la tour »)
Les cinq nouvelles des « Départs exemplaires », publiées en 1995 aux éditions de Paris et rééditées (dans une version entre temps revue et augmentée) chez Verticales en 2012, sont littéralement, et fort logiquement au regard du titre du recueil, infestées par la mort. Toutefois, cette omniprésence se dissimule sous plusieurs masques, dont un seul in fine se révèlera être celui de la mort rouge. Qu’elle affecte de nous parler de la disparition d’un aventurier retraité aux lisières pourtant anodines, entre thé et parcours de golf, de la jungle thaïlando-malaisienne (« Les derniers secrets de Mr. T »), de la tragique escapade quasi-involontaire d’une jeune fille écossaise de bonne famille, en vacances dans l’Allemagne rhénane de 1850 (« Idalia sur la tour »), des derniers jours d’un poète alcoolique en perdition dont la fabuleuse célébrité sera décidément bien posthume (« Les nuits de Baltimore »), de la dégringolade sociale et humaine d’un presque brave homme (« Une descente »), ou de la vie de deux jumeaux hermaphrodites sous Louis XV (« Claude et Hippolyte ou l’inadmissible histoire du feu turquois »), Gabrielle Wittkop excelle d’une manière rare et radicale à se glisser dans une narration classique au style particulièrement adapté à son propos (organisant les copulations fiévreuses de Joseph Conrad, Graham Greene et Somerset Maugham – qu’elle cite d’ailleurs sans hésiter – pour la première nouvelle, de William Thackeray, de Lord Byron et d’E.T.A. Hoffmann pour la deuxième, de H.P. Lovecraft, de Pierre Mac Orlan et de Baudelaire pour la troisième, de Charles Dickens, de Mark Twain et de Nathanaël Westpour la quatrième, et même de Mme de Lafayette, de Denis Diderot, du marquis de Sade et de Bernardin de Saint-Pierre pour la dernière) pour y distiller avec une grâce terriblement macabre son venin bien personnel.
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On m’observe. Ils me poursuivent. Je vais raser ma moustache pour mieux dépister leurs recherches… J’avais créé le funèbre oiseau pour que son vol accompagne celui du scarabée, mais l’oiseau a mortellement grugé l’insecte.
Il se sentait défaillir parce qu’à côté de lui un bûcheron vêtu de cuir – à moins que ce fût un boucher – tétait sa bouteille de bourbon et que la seule odeur de l’alcool répugnait indiciblement à l’homme en noir. Car c’était toujours horripilé de désir et d’effroi que lui-même approchait le satanique élixir dont une gorgée suffisait à l’enivrer. Ses rapports avec l’alcool, avec l’opium, avec les autres et surtout avec son âme et son esprit étaient un esclavage stigmatisé de dégoût, le forçant à s’échapper hors de lui-même. (« Les nuits de Baltimore »)
Ne gardant du fantastique supposé rôder dans les marges que les traces les plus infimes et subtiles, Gabrielle Wittkop mélange explosivement les hasards des existences et les pentes sombres des êtres, les innocences perdues et les malignités perverses pour organiser de somptueux chocs tragiques des coïncidences intimes et des possibilités vénéneuses que recèlent, pour certains êtres dans certaines situations, les circonstances même les plus apparemment ordinaires. Du très grand art qui donne envie de découvrir bien d’autres textes de cette même écriture redoutable. Et il faut lire ce qu’en dit justement Romain Verger sur l’Anagnoste, ici.
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