Les Saisons
Prix éditeur : 17,25 €
Collection : CHRISTIAN BOURGOIS
Éditeur : CHRISTIAN BOURGOIS
EAN : 9782267011357
Parution : 3 novembre 2000
Pagination : 220 p.
Façonnage : broché
Poids : 234 g.
Coup de cœur
Quarante mois d’automne. Un hiver aussi long. Pas de printemps. Encore moins d’été.
Et un auteur perdu qui lutte pour écrire l’histoire de sa vie.
Pour moi, l’histoire de ce livre débute à la terrasse d’un café de la place Daumesnil.
Et que font deux libraires à la terrasse d’un café ? Ils parlent boutique et livres bien sûr.
Surtout de livres.
Et quand, j’avoue ne pas connaître Les Saisons de Maurice Pons, Jérôme[1] se lève, paye les cafés, m’entraîne jusqu’à sa librairie, fonce vers un rayon et me tend un Christian Bourgois à la couverture lumineuse. « Lis moi ça, c’est culte ! Tu m’en diras des nouvelles. »
Des nouvelles, Jérôme, en voilà : merci du cadeau.
Les Saisons, c’est un village perdu dans une contrée hostile où Siméon débarque un jour qui n’a rien de beau. Les pluies d’automne durent plusieurs années et le froid qui suit peut geler les habitants à l’intérieur même de leurs taudis. Fuyant un désert où il vivait captif et où il a vu sa sœur torturée, violée puis mourir, il trouve un bien pauvre asile parmi ces habitants.
« Il ne voulait que s’enfuir au plus vite, comme il s’était toujours enfui ; il voulait seulement survivre, comme il avait toujours survécu. »
Son seul autre désir, c’est écrire.
Pour toute richesse, il possède quelques rames d’un papier précieux et une poignée de crayons. Mais il lui faudra d’abord être accepté par les villageois. Ensuite, une fois sa sécurité assurée, se mettre à l’ouvrage : écrire sa sœur, leurs vies, et cette séparation cruelle, injuste.
Mais Siméon se retrouve prisonnier de ces saisons, tente en vain de se raconter mais échoue. Les terribles mois d’hiver succèdent aux longs mois d’automne. Malgré l’abri trouvé, une blessure s’aggrave. Son pied rongé par la gangrène doit être amputé d’un orteil. Le temps passe et Siméon n’arrive toujours pas se mettre à l’ouvrage. L’œuvre reste dans les limbes.
Grandiloquent malgré tout, il se perd un peu plus à chaque fois qu’il prend la parole. Lors de sa grande tirade devant le conseil qui doit décider ou non de l’accueillir dans le village, il prononcera ces mots :
« Je suis venu ici pour partager avec vous le pain des mots et le vin de la phrase. […] ce sont des horreurs que je dois décrire, des horreurs et des souffrances surhumaines – comme par exemple la mort de ma sœur Enina – et c’est à travers cette horreur que je dois atteindre la beauté, une beauté qui purifiera la monde […] Après quoi le monde sera meilleur, et vous-même vous serez meilleurs dans un monde plus heureux. Voilà quelle est ma science.»
Et comble de l’ironie, en l’acceptant et en lui confiant la charge du pluviomètre, ces gens-là vont sceller son tragique destin.
Les Saisons, c’est aussi une galerie de personnages qui survivent on ne sait comment sur ces terres : Ham la tenancière d’un Café-Hôtel sordide ; les deux douaniers, réminiscence d’une autorité passée ; Le Croll médecin (?) du village porté sur la bouteille autant que sur l’amputation ; Louana la fillette, la seule à être heureuse à l’endroit où tout le monde perd espoir ; Enina, cette sœur absente, ce fantôme qui hante Siméon et surtout Clara Dodge dont il tombera éperdument amoureux…
Dans ce monde déphasé, volontairement outrancier : pas d’échappée possible. La caricature pourrait prêter à rire si elle n’était pas si sordide. Le désespoir en filigrane, tout ce que raconte Siméon n’est en définitive qu’une lente et inéluctable descente aux enfers.
Tout commence avec l’inspection par les douaniers du havresac de Siméon. Leur mépris, leur incapacité à seulement comprendre le concept même d’auteur s’opposent aux explications maladroites de l’écrivain en devenir.
Le bizarre demeure omniprésent, dérangeant. Le rythme étiré des saisons, presque onirique, vrille notre perception du temps, nous hypnotise. En effet, comment accepter cette alternance automne/hiver qui ne devrait pas permettre la moindre culture, ne serait-ce que de lentilles ? Comment suspendre encore son incrédulité devant l’extravagant chauffage personnel des villageois ? Comment accepter qu’un âne aide Le Croll à soigner ses patients comme il le fait ?
À propos d’une œuvre, on parle souvent de pouvoir d’évocation. Cette évocation est la plupart du temps visuelle. Ici, Maurice Pons sollicite tous nos sens. Moiteur, pourriture, pourrissement des chairs, l’incessant tambourinement de la pluie sur les toits, le poids de la neige qui fait craquer les bâtisses, froideur, faim dévorante…
Toutes ces sensations se combinent en un énorme flash si puissant qu’il imprime sa marque indélébile dans le cerveau du lecteur. Déclenchant ainsi une espèce de persistance rétinienne qui irait gangrener nos autres sens. Devant l’énormité de la situation, mise à rude épreuve, notre incrédulité s’effondre, balayée d’un coup de plume par l’écrivain.
Les Saisons c’est aussi un hurlement. Hurlement de l’auteur façon Munch devant la page blanche, le besoin de créer et l’incapacité d’y parvenir. Il lui faudra lutter contre les éléments, contre les cahots de sa propre vie et contre la société. S’entêter est inutile, l’art n’améliorera en rien l’ordinaire de ce qui reste de ce village : ses habitants n’auront toujours qu’une poignée de lentilles à manger et l’alcool de lentille pour se saouler.
« Il n’y aura ni pain, ni vin. Ah ! maudit, maudit dès sa naissance, celui qui a voulu écrire ! »
Les Saisons nous hurle que la création se fait dans la douleur, que l’implication de l’auteur doit être totale, au service de son œuvre et au mépris de sa propre sécurité. Les Saisons, en définitive, c’est peut-être le roman qu’a publié Siméon sous le pseudonyme de Maurice Pons, le grand œuvre qu’il a réussi à achever malgré tout. L’histoire de sa vie, des villageois et de sa sœur, a enfin pu parvenir jusqu’à nous.
Charybde 4
Coup de cœur
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Maurice PONS, Les saisons
Coup de cœur
Coup de cœur
Coup de cœur
Quatrième de couverture
Depuis près de trente ans, les lecteurs des Saisons forment une sorte de confrérie d'initiés. Ils partagent un même univers, " plaqué " sur le nôtre comme l'or - ou la suie ; ils utilisent le même langage, les mêmes images de référence ; ils se connaissent et se reconnaissent entre eux, un peu comme les lecteurs de Malcolm Lowry ou de Julio Cortazar. Nous avons pensé qu'il ne fallait pas abolir ce privilège, mais le partager, en le multipliant. Et après les éditons Julliard (1965), Bourgois (1975), 10/18 (1984), voici à nouveau ce " livre-culte " chez Christian Bourgois.