Dernier Désir
Prix éditeur : 18,00 €
Collection : FAYARD
Éditeur : FAYARD
EAN : 9782213663173
Parution : 3 janvier 2014
Pagination : 288 p.
Poids : 391 g.
Coup de cœur
Magnifique recréation du mythe du vampire, sous le signe de la marchandise triomphante.
Publié en janvier 2014, le quatrième roman d’Olivier Bordaçarre est un choc, magnifique, inquiétant, tendu à rompre, subtilement interrogatif, et surprenant jusqu’en ses toutes dernières pages.
Un couple de trentenaires, et leur enfant de dix ans, vivent paisiblement au bord d’un canal berrichon désaffecté, dans une ancienne maison d’éclusier qu’ils ont patiemment retapée depuis leur fuite de la capitale quelques années plus tôt, cherchant à échapper à la frénésie de travail et de consommation tous azimuts qui les y habitait comme tout un chacun. Tout va bien, jusqu’à l’arrivée d’un voisin, venu habiter la maison jumelle de la leur, à quelques centaines de mètres…
Semblable au Harry qui vous veut du bien incarné en 2000 au cinéma par le grand Sergi Lopez, mais beaucoup plus élégant et beaucoup plus riche, le voisin s’appelle Vlad (comme le comte Dracula), et entreprend rapidement de copier au millimètre la vie de Jonathan et de Mina (qui portent en effet les mêmes prénoms que le couple Harker de Bram Stoker), tissant autour d’eux une toile mortifère de généreuse bienveillance apparente. Distillant rapidement les indices au lecteur, Olivier Bordaçarre ne nous laisse très vite guère de doute : les mots ne sont jamais mentionnés, mais le nouveau voisin est bien un vampire –un vampire résolument contemporain qui ne convoite ses cibles ni par ni pour le sang, mais bien par et pour la consommation effrénée, la marchandise fétiche, « dernier désir » triomphant du capitalisme.
Bien que nettement averti de ce qui se trame, le lecteur impuissant, rongé d’angoisse, voit se dérouler sous ses yeux une implacable mécanique, où chaque pion avancé par le méticuleux et calculateur Vlad tombe bien en place et produit soigneusement l’effet recherché… Suspense glaçant, corruption progressive de l’innocence qui s’était crue retrouvée, mise à nu des vulnérabilités de chacun, dissipation des illusions dans un questionnement redoutable de précision… jusqu’aux ultimes rebondissements qui relèvent du très grand art de l’inattendu.
Poursuivant et amplifiant le travail de réécriture de nos mythes déjà à l’œuvre dans « La France tranquille » (2011), Olivier Bordaçarre nous offre une fable qui effleure le fantastique sans s’y plonger, pour mettre à nu la fragilité de nos combats les plus chers, qui secoue sauvagement nos certitudes pour nous permettre, peut-être, des les retrouver à l’issue de cette lecture, plus solides et plus déterminées. Une rencontre littéraire terriblement nécessaire, en tout cas.
« - J’ai eu tellement peur tout à l’heure… affirma-t-elle sans vouloir dévoiler toutes les causes de sa frayeur.
- Oui, j’ai bien vu. Difficile d’avoir un enfant, n’est-ce pas ?
- Oui. On peut dire ça. Oui… fit Mina, songeuse.
- C’est vrai, on les rêve, on les conçoit, on les attend, on les élève… Un malheur arrive si vite. C’est pour ça qu’il faut les gâter. Sans compter. Les gâter le plus possible. Profiter de ce temps qu’on a avec eux pour leur offrir tout ce qu’ils veulent.
- Bien sûr, mais on ne peut quand même pas en faire des enfants-rois, des gosses qui ont tout… réagit la mère sans beaucoup de conviction.
- Et pourquoi pas ?
- Ben… parce qu’à force de tout avoir, on ne désire plus rien, répondit-elle sur l’air de la récitation d’un thème rebattu.
- À quoi sert un désir, si on ne l’assouvit pas ? La vie, ce n’est pas accumuler des désirs sans rien obtenir ! Il faut les satisfaire. Les enfants ont besoin d’immédiateté. Pourquoi les faire attendre ? Pour les entraîner à la frustration ? Et pour nous, les adultes, c’est pareil, Mina.
- Je ne suis quand même pas tout à fait d’accord avec toi. Je n’ai pas tellement envie que Romain devienne un accro de la consommation. Je pense que ça ne lui donnerait pas des satisfactions très intéressantes.
- Peut-être que tu as raison, dit Vladimir Martin en se levant de sa chaise, mettant ainsi fin à la conversation.
Mais il pensa : « Tu changeras, Mina. Je sais que tu changeras. Tu te soumettras à l’évidence. » »
Coup de cœur