Canal Mussolini
04/04/2012 Coups de coeur
Une très savoureuse fresque politique et familiale de paysans de Ferrare, sur 40 ans d'Italie fasciste...
Publié en 2010, à soixante ans, le huitième roman d'Antonio Pennacchi, est de son aveu même, "l'oeuvre de toute une vie", préparée par l'ensemble de ses écrits précédents, incluant le remarqué Mon frère est fils unique de 2003, superbement porté à l'écran en 2007 par Daniele Lucchetti.
Canal Mussolini a été truffé d'éléments autobiographiques savamment agencés et réarrangés par cet auteur atypique, authentique fils d' "émigrés intérieurs" de la Vénétie vers le Latium dans les années 30, tour à tour séminariste pendant 2 ans, inscrit au néo-fasciste MSI pendant 2 mois puis au PCI, comme ouvrier chez Alcatel Italia, pendant 30 ans, avant de reprendre ses études à temps partiel et de commencer une carrière d'écrivain à 44 ans...
Canal Mussolini, entièrement raconté "à l'oral" par un narrateur qui ne sera identifié qu'à la dernière page, nous plonge dans la saga familiale des Peruzzi, prolifique famille de cultivateurs pauvres, métayers dans la Vénétie de Ferrare, devenus massivement fascistes après la première guerre mondiale, séduits par les promesses de terres du premier programme mussolinien, avant que, totalement ruinés par les effets de la politique monétaire mussolinienne, ils n'acceptent avec joie de participer à l'exode intérieur massif qui conduit 30 000 familles italiennes de Vénétie à coloniser les ex-marais Pontins, au sud de Rome, jadis vaste marécage livré à la malaria, que les grands travaux fascistes (et notamment le percement du canal Mussolini) ont (c'est une vérité historique) rendus parfaitement cultivables...
Une fresque exceptionnelle qui court de 1910 à 1950, embrassant aussi bien des dizaines de drames familiaux que les errements de la "grande politique" mussolinienne, mais aussi les complaisances politiques des uns et des autres, rendus incroyablement savoureux par la forme orale et dialectale de l'ensemble de la narration (la traductrice Nathalie Bauer, à l'instar d'un Serge Quadruppani confronté au verbe de Camilleri, livre d'ailleurs ses réflexions et ses partis-pris dans une excellente postface).
À partir de ce moment-là, Giolitti n'a plus voulu les voir. Il était fait comme ça - aujourd'hui avec toi, demain avec un autre -, il ne se perdait pas en subtilités en matière d'amis et d'ennemis. Quand il avait besoin d'une voix au Parlement, il l'achetait au premier venu ; exactement comme maintenant, en fin de compte, si bien que tout le monde affirme qu'il a inventé le transformisme. Il a même inventé les repentis, et il a battu la Camorra en enrôlant les camorristes, il a tout inventé, et si ça n'avait tenu qu'à lui, il aurait même inventé le centre gauche. Il y a plus de cent ans. Ce sont les réformistes qui n'ont pas voulu. Alors, il a inventé la Démocratie chrétienne.
En effet, les bonifications ne sont pas une invention de Mussolini, mais un problème que l'Italie unitaire s'est posé aussitôt après le Risorgimento et l'unification. Les plaines du Centre et du Sud étaient abandonnées depuis des siècles : les gens s'étaient retirés sur les montagnes pour se défendre des Barbares et des Sarazins, puis avaient été chassés par les latifundia et la malaria. Un désert. À la fin du XIXe siècle on promulgue donc - toujours et surtout dans la vallée du Pô - les premières lois et entame les premières grandes interventions de bonification à l'initiative de particuliers qui souhaitaient à juste titre accroître leurs cultures et augmenter leurs gains. Il ne faut pas croire que c'étaient des philanthropes. Or, dans le centre et le sud de l'Italie - les régions plus pauvres et davantage atteintes par la malaria -, on n'avait jamais touché au moindre brin de paille : il n'existait pas de classe d'entrepreneurs à proprement parler ; les riches propriétaires terriens se contentaient de réunir les fruits de leurs terres et de les manger dans leurs palais en ville. c'est ainsi que les cercles de Nitti et de la Banca Commerciale décident d'introduire le capitalisme : "Si les riches du Sud n'en sont pas capables, nous prendrons leur place, nous autres du Nord." Avec l'argent de l'État, évidemment.
Quand nous avons envahi la Grèce, Adolph - qui avait répété au Duce sur tous les tons "laisse tomber les Balkans, n'y ouvre pas un nouveau front, concentre-toi sur l'Afrique du Nord, prenons Suez et l'Egypte" - a eu une syncope : "Qu'esse t'es allé fout' en Grèce sans rien m'dire ? T'aurais au moins pu m'avertir, non ? - Tu m'a peut-êt' averti quand t'es allé envahir la Pologne, la Tchécoslovaquie et maint'nant la Roumanie ?" (...) "J'pouvais quand même pas leur laisser l'pétrole !" a-t-il lancé au Duce en guise d'explication. L'Italie avait lu la nouvelle dans le journal. Le Duce avait piqué une crise : "Ah oui ? Ben, j'vais t'montrer." (...) Et lui - Hitler - s'est sacrément mis en rogne : "Spèce de taré, tu crois qu'y a du pétrole ? Y a foutr'ment rien en Grèce ! Y sont encore plus pauv' que vous, vous n'y êtes allés que pour m'faire enrager, qu'le diable vous emporte !"