Criminels ordinaires
18/10/2013 Coups de coeur
Le second volet des difficiles nuits de L.A., encore plus puissant que "Sur les nerfs".
Publié en 2002 (en février 2013 en français), le second recueil des nuits de Los Angeles, de Larry Fondation, reprend le flambeau du désespoir ordinaire des "sans" (sans abri, sans travail, sans avenir, sans espoir,...), des petits, et en effet aussi des "criminels ordinaires", là où le terrifiant "Sur les nerfs" l'avait laissé, déroulant maintenant le fil sous la présidence Bush (Père) et le début de la présidence Clinton...
Cinquante histoires courtes ou très courtes, avec des titres qui peuvent d'emblée inquiéter ou faire frémir ("Conduire des voitures", "Expulsion au petit déjeuner", "Indignité", "Essayer de choper le SIDA",...), pour poursuivre ce travail sauvage et minutieux, à partir du matériau assemblé par un auteur qui est depuis 25 ans médiateur dans ces quartiers dits "difficiles" de L.A. Univers de bars, de diners, de cabarets glauques, de coins de rue, d'appartements délabrés, de motels pourris, où une humanité tente de surnager tandis qu'une autre se laisse porter par le flot d'égoût qui l'environne désormais... Le tout dans une langue travaillée toute en précision souvent étonnamment poétique.
"Il s'est assis à côté de moi. Je n'avais pas envie de parler.
- Super endroit, il a dit - entre le point d'exclamation et le point d'interrogation.
Gwendolyn faisait grincer son cul juste à côté de nous.
- Oui, j'ai fait, aussi sèchement que possible.
C'était une boîte de strip tease un peu pourrie, sur Hollywood Boulevard. Ouverte depuis trente ans. Les stripteaseuses portaient des cache-tétons sur le bout des seins. Des trucs brillants pour certaines ; du scotch d'électricien pour d'autres.
- Elle a des nichons d'enfer, il a dit.
J'ai rougi, mais il faisait trop sombre pour que ça se voie.
- Je m'appelle Eddie.
Il m'a tendu la main.
Je lui ai serré les doigts assez fort pour qu'il ait mal, mais je ne me suis pas présenté.
Gwen s'est baissée, le cul en l'air, juste devant moi. Elle l'a remué sous mon nez. J'ai posé 5 dollars sur la balustrade.
- Vous faites quoi dans la vie ? a demandé Eddie.
- Tueur en série, j'ai répondu.
Il s'est marré. Il a cru que je déconnais. C'était pas le cas."
("Pas désiré")
Et c'est peut-être l'une des deux citations placées en exergue du volume qui dit le mieux le propos de ces 50 scènes : "C'est vrai qu'on n'a que ce qu'on mérite. L'Amérique qu'on produit pour les autres est au bout du compte l'Amérique qu'on produit pour nous-mêmes. Ça ne se passera pas à l'autre bout de la ville. Ça se passera juste devant chez nous." (Mikael Gilmore, "Cible facile : pourquoi il faudrait écouter Tupac avant son enterrement", 1996)