Dachau Arbamafra
27/01/2014 Notes de lecture
De quoi le prénom Dachau peut-il être le nom ? 130 pages échevelées et fortes pour y répondre.
Publié en 2012 aux Doigts dans la Prose, ce premier texte de Nicolas Le Golvan, paru six mois avant son roman « Reste l’été » chez Flammarion, porte, sous des dehors d’abord gouailleurs, la marque des grandes œuvres.
En 130 pages échevelées, voici donc la naissance, l’enfance et l’adolescence d’un mystérieux jeune homme, né à Gien d’un couple âgé, après le passage de trois sordides rois mages, que la crainte de leur retour vérificateur, promis pour l’année suivant la conception, contraint ses parents à prénommer Dachau.
Si le flot de l’écriture magnifique, tour à tour drôle, incisive et curieusement poétique, engloutit en effet, comme cela a été joliment dit par ailleurs, une étonnante anti-éducation sentimentale où une vieille dame indigne à force d’être trop digne, une petite amie ignorante et une routarde salvatrice se relaient pour faire de Dachau ce qu’il doit devenir, il est surtout mis au service, culminant dans un final hallucinant, d’une mise en perspective rageuse et audacieuse du devoir de mémoire du génocide, de sa récupération marchande, de ses cycles parfois impensables, associant selon la conjoncture ou la marche du temps, oubli et ignorance, négation perverse, culpabilité collective impossible à racheter, ou bien disneylandisation.
Cherchant avec fougue le sens de sa vie et de son nom, le jeune Arbamafra permet à Nicolas Le Golvan de nous donner un texte qui résonne fort, entre formules qui valent beaucoup plus que leur emporte-pièce apparent et réflexions hautes en couleurs sur un devenir mémoriel bien incertain.
Création purement littéraire qui pense pourtant savamment l’horreur, voici un texte qui vient aussi télescoper presque joyeusement les excellents « Kinderzimmer » de Valentine Goby et « Nos yeux maudits » de David M. Thomas, qui résonne avec les impensables images, d’une paisible noirceur, du « Week-end à Oswiecim » de Patrick Imbert, et qui pourrait s’insérer aisément dans le piège narratif total construit par Paul Verhaeghen avec son énorme « Oméga mineur ».
« On m’a donné le prénom des enfants incroyables, de ceux qui sont une promesse de vie opiniâtre, des poids plume à la naissance, aussi flasques qu’un rôti cru, sans ficelle ni barde et qui feront suer leur monde toute leur vie, assidus comme la pluie, fidèles au lever de chaque jour, corrosifs, pas possibles, increvables. Moi.
Moi, parce que ma mère avait ri dans ses larmes à l’annonce d’un fils. Moi pour ne pas dire franchement Isaac, une sorte de référence douce, un clin d’œil biblique. Non pas. C’était la Bible. Quelque chose de messianique est venu sourdre et gaver l’air d’une odeur prégnante d’épandage. Quelque chose a secoué l’espace, ici à Gien, où rien n’a jamais fait écho que les bombes de 40. »
« Justement, ce soir-là, ils étaient venus à trois, des étrangers, trois jeunes branleurs frappant à la porte postformée du pavillon de chez moi. Ils étaient trois et sont entrés par-dessus le paillasson. L’homme sage les a accueillis en résignation, espérant éteindre ce feu monstrueux qui les avait poussés chez lui sans hasard. Il connaît bien cette énergie qui roule les abrutis terreux, comme le bousier sa boule, jusque chez le vieux et sa femme, presque aussi vieille. »