Dans l'ombre de la lumière
16/02/2013 Coups de coeur
Avant de devenir le philosophe et théologien que l’on sait et de laisser à la postérité des écrits tels que ses Mémoires ou La cité de Dieu, Saint Augustin eût jusqu’à la trentaine une existence finalement assez classique pour un jeune homme de sa condition et de son éducation : amoureux d’une femme aux côtés de qui il vécut pendant plus de dix ans et qui lui donna un fils, il n’embrassa la religion catholique qu’après une longue période de doutes et de déchirements intérieurs.
Et si l’Histoire ne retient aujourd’hui que la figure révérée du penseur et du religieux, c’est bien évidemment à cet amoureux que Claude Pujade-Renaud s’attache dans son récit en adoptant le point de vue de l’amante répudiée, la belle Elissa. Manière saisissante de redonner consistance à l’icône et de rappeler qu’avant de laisser un corpus théorique considérable, Augustinus n’en fut pas moins capable d’aimer au sens le plus charnel du terme, de douter, d’embrasser une autre croyance (le manichéisme) ou de rejeter la femme adorée pour de basses considérations d’ambition. Et de rappeler que cette œuvre considérable s’appuie avant tout sur un vécu et des contradictions des plus humaines.
On devine très vite que l’attention et l’attachement de l’auteur vont à la belle Elissa, personnage lumineux, orgueilleux, brisé par cette séparation mais qui se reconstruit au fil des années et confronte ce qu’elle sait de l’amant avec le personnage public. Cela donne un récit solaire, sensuel, où l’acuité du regard que porte Claude Pujade –Renaud sur les émotions et les sensations (l’odeur d’un nouveau-né, le goût des fruits, le travail de poterie…) fait merveille. Chaque personnage, même secondaire, acquiert une épaisseur remarquable. Cela permet, très naturellement, de faire en sorte que celui qui aurait pu écraser le roman par sa stature, trouve sa vraie place : celle d'un humain, d'abord et avant tout.
"J'avais envie de crier à tous des fidèles : si vous saviez combien l'évêque d'Hippo Regius fut un merveilleux, infatigable amant ! Oui, leur crier cette vérité à ces bons catholiques en quête d'une divine vérité et qui allaient ensuite déambuler dans l'humidité sensuelle de l'été, chanter, danser, se soûler puis baiser dans le lit conjugal ou dans quelque couche clandestine. Un merveilleux amant durant près de quinze ans. Et dans la fidélité l'un à l'autre."