Connexion

Dans les Cités

Dans les cités

Dans les cités
de Charles ROBINSON
ed. SEUIL

Magnifique, poétique, drôle et tragique odyssée d'une immersion ethnologique en banlieue.

Publié en 2011 chez Fiction & Cie au Seuil, le deuxième roman de Charles Robinson nous offre, en 520 pages denses, hautes en couleur, en poésie et en surprises, une véritable odyssée d’une « cité » de grande banlieue parisienne.

Mandaté par un cabinet d’architecture, à la fois posément cynique et gentiment post-moderne, le narrateur, jeune ethnologue à peine sorti des études, entreprend une enquête aussi approfondie que possible, à la rencontre méthodique des habitants des Pigeonniers, ex-cité urbanistiquement radieuse dont il est lui-même originaire – mais qu’il a quittée il y a fort longtemps -, alors qu’elle est secrètement promise à une destruction prochaine avant d’être rebâtie « à neuf ».

Le regard ethnologique, magnifique position narrative, permet de rencontrer un maximum d’acteurs locaux – conformément au cahier des charges de l’étude – et de retranscrire leurs perceptions dans leur propre langage, rodomontades et provocations comme passions et désirs, bâtissant une ample fresque sous nos yeux de lecteur de moins en moins incrédule : GTA le « fixer », 666 ou No Life les bio-goths, M l’entreprenant entrepreneur des vices tous azimuts, Jizz et Craps les musclées petites mains des micro-empires en gestation, Goune la joueuse de poker en ligne, Booz et Mooz les obèses intellectuels autodidactes et prophétiques, Gerberine le passe-muraille qui sait tout des secrets de la cité, la Grenouille infatigable responsable locale de Pôle Emploi, Mister Gaulois le concierge jadis vilipendé reconverti en garde-champêtre informel et néanmoins reconnu, et tant d’autres mutants plus ou moins prononcés produits par les lieux… jusqu’à l’Opossum, la propre sœur enseignante du narrateur.

Tandis que remontent à la surface, conscience et mémoire du narrateur, les souvenirs d’enfance et d’adolescence, des amours de l’époque avec la surdouée Bach Mai et de la complicité contrariée avec le « meilleur ami », l’enquête verra surgir le sans doute inévitable : la violence sourde, nourrie de légendes urbaines et de rêves impossibles à maîtriser, qui peut jaillir sans prévenir, geyser de préjugés et de fatalité.

Un grand livre, qui mérite d’être mis en résonance avec le très beau et si surprenant « Clan Boboto » du « griot junior » Joss Doszen.

« - Dans un village, des tas d'occasions existent pour tisser des liens, les gens ne font pas que se gêner mutuellement. C'est un peu baguette & tradition, bien sûr. Mais ça marche, ça fermente. Là, l'incubateur était tellement stérile que seules des formes mutantes ont pu survivre. À la marge. Des bricolages existentiels. »

« Elle repart vers l'entrée du magasin, franchit cet étrange corridor qui sert en général à préparer l'assassinat des vachettes, et qui sert ici à désigner à la ville et au monde les salopards SORTIS SANS ACHAT, elle passe entre les portiques qui ne se donnent même pas la peine de l'électrocuter. »

« En fait, cette imbécillité qu'on nomme l'adolescence, il ne faut pas la juger à ces pousses désordonnées et répétitives, mais à la profondeur des racines qu'elle fore.
Ne vous fiez pas aux feuilles jobardes, ses fruits sont sous la terre. L'adolescence, c'est des patates. »