Du domaine des murmures
20/12/2012 Coups de coeur
Au jour de ses noces, la jeune Esclarmonde refuse le chevalier que son père lui a choisi et se promet à Dieu. Elle demande à être emmurée vivante, et se coupe une oreille pour être certaine d'être prise au sérieux.
Elle se retrouve donc, selon ses vœux, dans une cellule aménagée dans le domaine paternel.
Là où tout écrivain mettrait un point final à son récit, Carole Martinez débute à peine le sien par cette réclusion volontaire. Sans jamais trancher entre mysticisme et jeu de pouvoir, l'auteur fait de la cellule d'Esclarmonde une caisse de résonance du monde et le pivot de son histoire.
Alors que s'organise le départ aux croisades, les pèlerins affluent vers l'emmurée. Esclarmonde se trouve être une croisée des chemins : entre l'extérieur réel et l'impalpable qui la visite, elle dispense visions spirituelles et conseils de simple bon sens, acquiert une liberté et une influence dont elle n'aurait pu rêver hors de sa cellule.
L’évocation de l’univers des recluses et du respect qui les entourait donne lieu à des scènes étonnantes, montrant à quel point l’unique lucarne leur permettant de communiquer avec le monde devenait un lieu d’échanges, de confessions et mettant également en lumière l’incroyable réseau qui liait entre elles ces femmes emmurées.
Avec une très belle écriture, Carole Martinez peint une épopée dans un huis clos, jouant sur les interstices entre récit historique et conte.
Comme dans le Cœur cousu, le récit est construit autour de personnages féminins magnifiques. Que ce soit Douce, la belle-mère d’Esclarmonde qui cherche à s’imposer dans le domaine familial ou Bérengère dont les atours et la sensualité épanouie sont source de bien des envies, les femmes prennent petit à petit un pouvoir qui échappe aux hommes.
Carole Martinez livre au final un conte cruel qui n’élude en rien la sauvagerie de l’époque et explore jusqu’au bout les motivations de ses personnages, tiraillés entre foi et pulsions dévastatrices. Superbe.
[... et Charybde 3 approuve.]