Gokan
07/12/2014 Notes de lecture
Dans un Japon de cinéma, mené à cent à l’heure, le plus hilarant « Mexican standoff » de la littérature.
Publié en 2012 dans la collection NéO des éditions du Cherche-Midi, « Gokan » est le premier roman de Diniz Galhos, jusqu’à présent surtout connu pour sa traduction de l’anglais du « Livre sans nom » et de ses suites, ou pour les somptueuses traductions du brésilien de « Belém » et de « Moscow » d’Edyr Augusto.
Un boss yakuza qui doit – comme toujours – veiller à se faire respecter, son principal homme de main, blanchi sous le harnais mais néanmoins surnommé « le Noir », quelques jeunes apprentis dont l’un gobe les histoires de fantômes japonais qu’on lui raconte ou l’autre tient absolument à faire yubitsume (l’emblématique tranchage de phalange du gangster japonais) à la première occasion, la fille garagiste à la Tank Girl d’un ex-Béret vert lui ayant appris les 31 manières de tuer un homme à mains nues (ou presque), un professeur de littérature française, spécialiste de Zola, en visite universitaire, mais prêt – si l’occasion de faire le larron se présentait – à dérober la bouteille de saké marquée au nom de Quentin Tarantino dans un bar japonais, et enfin un « énorme » tueur à gages, caricature hautement efficace d’Américain raciste et imbu de sa supériorité « culturelle » : Diniz Galhos a su créer une extraordinaire galerie de personnages à caractère BD ou cinéma, dans une veine magnifiquement archétypale à la Sergio Leone (l’une des références centrales de ces 200 pages) ou, bien sûr, à la Quentin Tarantino (également omniprésent par références interposées), chacun y disposant de sa précieuse scène de présentation, stylisée et hilarante.
Il s’agissait ensuite d’organiser une narration haletante et suffisamment déjantée pour, tout en multipliant les clins d’œil à saisir aux films, bandes dessinées ou romans de cette culture mélangée sous adrénaline qu’affectionne tant le réalisateur de « Kill Bill », organiser le télescopage final de tout ce petit monde, dans une scène de « Mexican standoff » de très haute tenue, où, comme dans ses meilleures tentatives sur grand écran, chacun menace chacun d’une arme prête à faire feu à la moindre châtaigne tombant d’un tabouret.
Un pari vraiment réussi, qui fera rire le lecteur du début à la fin, se délectant de ce vrai faux thriller mené à cent à l’heure dans le Tokyo de « Black Rain » ou de « Kill Bill », savourant chaque allusion reconnue (et ce n’est pas grave du tout de ne pas toutes les saisir, tant il y en a), en un bien bel hommage à la série B et au cinéma référentiel, sous les ombres de Takeshi Kitano, de Claude Maki, d’Henry Fonda, de Charles Bronson, d’Eli Wallach, de Samuel L. Jackson, d’Uma Thurman ou de Lori Petty.
« Le Boss se détourne, et Hiroshi s’assied aussitôt face à la Pieuvre. Il sait ce qu’on attend de lui. Il campe ses mains bien en haut de ses cuisses, comme il l’a déjà vu faire si souvent, relève ses épaules, et la tête légèrement penchée, à deux doigts du visage de cet homme qui pourrait être son père, se met à l’agonir de reproches. Il lui rappelle ses dettes, ses trahisons, ses lâchetés. Il insiste sur ses devoirs, ses promesses, ses succès, et à qui il les doit. Et il conclut sur son ingratitude, en l’insultant en bonne de due forme, dans une rafale de postillons que la Pieuvre ne cherche ni à éviter, ni à essuyer. Hiroshi se lève enfin, et lui crache carrément dessus.
Le Boss a tourné le dos à toute la scène. Il n’est pas censé tirer plaisir de ces séances dégradantes. Mais la vérité, c’est que la Pieuvre a une impressionnante collection de DVD. Coincé entre les dix opus de « Étudiantes japonaises en chaleur » et la double trilogie « Star Wars », tout Sergio Leone. Le Boss se retient de piocher dedans. Ce ne serait pas correct. »