Gormenghast
30/08/2011 Coups de coeur
1950 : avec ce deuxième tome, Peake atteint son sommet. L'essence du gothique tordu.
Deuxième volume de la trilogie de Gormenghast, publié pour la première fois en 1950 (en 1977 en français), ce roman de 400 pages représente sans doute le sommet de l'art de Mervyn Peake. Après la fin plutôt raide de Titus d'Enfer, nous sommes projetés quelques années plus tard. Les personnages existent maintenant fermement dans notre esprit, comme de vieux compagnons de voyage, et c'est avec plaisir et familiarité que nous allons accompagner Titus adolescent, ou le docteur Salprune et Lady Gertrude, qui continuent discrètement à réfléchir aux sombres événements du premier tome…
La revue de personnages des six premières pages de Gormenghast est certainement l'un des plus beaux passages de littérature que je connaisse.
Titus a sept ans. Son monde, Gormenghast. Nourri d'ombres ; sevré dans les linges du rituel : ses oreilles vouées aux échos, ses yeux à un labyrinthe de pierre ; pourtant, dans son corps, autre chose - autre chose que cet ombrageux héritage. Car d'abord, et avant tout, il est un enfant.
Des rites plus contraignants que jamais homme n'en conçut luttent contre les ténèbres enracinées. Un rituel du sang ; du sang bondissant. Ces sensations vives ne viennent pas de ses ancêtres, mais de ces foules insouciantes, mille fois millénaires, des enfances de la planète. Le don du sang joyeux. Du sang qui rit quand les dogmes disent : "Pleure". Du sang qui pleure quand les lois sèches ordonnent : "Réjouis-toi !' Ô petite révolution en grandes teintes !
(...)Irma n'écoutait jamais que les cinq premiers mots des périodes quelque peu entortillées de son frère, si bien qu'une quantité respectable d'insultes lui passaient par-dessus la tête. Des insultes qui n'avaient, en soi, aucune méchanceté et qui procuraient au docteur une forme de divertissement verbal sans lequel il aurait dû passer tout son temps enfermé dans son cabinet. D'ailleurs, ce n'était nullement un cabinet, car, bien que les murs fussent tapissés de livres, il ne contenait rien d'autre qu'un fauteuil très confortable et un fort beau tapis. Il n'y avait pas de bureau. Ni papier ni encre. Ni même une corbeille à papiers.
Ce volume est aussi, sans doute plus encore que le premier, l'illustration parfaite de cet humour noir et tordu, par lequel – comme il me semble avoir lu Iain Banks le rappeler à l'occasion – toute possibilité atroce qui existe, a des chances de se matérialiser…
L'édition Phébus de 2000, reprise en Points Seuil, nous offre en prime une utile préface de Patrick Reumaux.