Hitler in love
03/01/2014 Notes de lecture
Déroutant recueil, enfants en floraison, terrifiantes sources fantastiques, victimes ou bourreaux.
Publié en 2010 au Chili, traduit en 2013 par Brigitte Jensen chez Christophe Lucquin, ce premier et court recueil de Florencia Edwards a de quoi légitimement dérouter, et secréter chez la lectrice ou le lecteur l'un de ces malaises souvent précieux.
Ces quatre nouvelles en effet, sous leur air de narration nettement incisive et largement elliptique, livrent, en conte, en fable ou en anecdote, des tableaux qui ne sont guère inoffensifs : de l'oncle Adolf (Hitler) jouant derechef le déniaiseur réel ou irréel de sa nièce, de bord de lac bucolique en dirigeable antarctique ("Hitler in love"), au docteur Jürgen sûr de ses décisions de soins expérimentaux sur enfants imprudents ("Histoire terrifiante pour enfants"), en passant par le jeune Daniel ému jusqu'au difficilement avouable par son institutrice ("L'homme-sac") ou par l'enfant malade Enrico que ses parents logent très normalement à l'intersection de l'hôpital et de l'atelier de mécanique ("Enrico"), il y a là en effet une mise en scène de l'éducation et de la sexualisation des enfants qui ne peut, sous la poésie manifeste de l'écriture, que gratter plutôt férocement. Une expérience étonnante que l'on trouvait, en plus d'un sens, l'an dernier, chez Anne Serre et sa "Petite table, sois mise !", où l'assaut était toutefois mené de manière bien plus directe.
Comme le dit fort justement, en achevant sa postface, le romancier Felipe Becerra Calderon, "je suis persuadé qu'en refermant leur exemplaire, de nombreux lecteurs de cette traduction de "Hitler in love" ne sauront que faire de ce livre. Le défi réside justement dans la manière dont ils pourront cohabiter avec son mystère et adhérer à la déroute qu'il provoque."
Si cette expérience n'atteint sans doute pas encore son plein développement, nul doute en revanche qu'elle mérite de l'attention.
"Le lendemain, Adolf avait tout préparé pour le voyage. Elle était de nouveau retournée au lac, et il devait donc l'attendre. Elle pouvait revenir à tout moment. Il n'avait jamais planifié une telle excursion, et l'appréhension de la réaction de sa nièce le poussa à appeler la presse :
- Allô ?
- Allô, ici Adolf Hitler. Je vous prie de publier dans votre journal la déclaration suivante. Prenez des notes : "Je suis à la montagne, et c'est précisément parce que je suis à la montagne que je suis vivant. Je suis vivant, et le reste des humains qui peuplent cette planète sont morts."
Il raccrocha précipitamment, rappelant le geste d'un enfant, et s'aperçut que Geli l'observait d'un air moqueur.
- Que fais-tu, Onkel ?
Il rougit.
- Rien, Geli. Je t'attendais. Nous allons faire le voyage en bateau dont je t'ai parlé, un bateau spécial, comme tu n'en as jamais vu."