Connexion

Icelander

Icelander

Icelander
de Dustin LONG
ed. ASPHALTE

Très grand roman, maîtrise narrative pour un hommage déjanté aux pulps 1930 et aux mythes nordiques.

Publié en 2006, et en 2010 en français chez Asphalte dans une traduction d'Audrey Coussy, le premier (et pour l'instant unique) roman de Dustin Long constitue un réjouissant et haletant tour de force.

L'intrigue elle-même est fort difficilement racontable, et je me contenterai donc d'indiquer que l'on suit, sur quelques journées entremêlées de très nombreux flash-backs et flash-forwards pas toujours aisés à situer d'emblée dans le temps, quelques protagonistes assemblés à New Cruiskeen, en un jour de fête consacrée à la mémoire de la célèbre enquêtrice Emily Bean, désormais décédée, autour de Notre Héroïne, la fille d'Emily, dont la meilleure amie, Shirley McGuffin (dont le patronyme même, bien entendu, pointe avec force vers ce dont il s'agit réellement dans cette histoire), a été assassinée la veille, forçant ainsi la jeune femme à prendre l'enquête à son compte, fût-ce avec répugnance... Et l'on doit signaler que New Cruiskeen est aussi un village étroitement connecté à Vanaheim, le mythique royaume souterrain situé "sous l'Islande", révélé aux yeux du monde quelques années auparavant, et d'où sont originaires les archi-ennemis d'Emily Bean et peut-être de sa fille, Notre Héroïne...

Ce scénario trépidant (le rythme de la narration, malgré la neige, la glace et le froid environnants, est époustouflant) est surtout le prétexte à un étourdissant tour de force, dans lequel l'auteur, maîtrisant à merveille les techniques de multi-enchâssement narratif vertigineux d'un Mark Z. Danielewski de "La maison des feuilles", les appliquant à une galerie de personnages principaux et secondaires que l'on pourrait parfois croire échappés des aréopages universitaires de l'Amanda Cross de "L'affaire James Joyce" ou de "Mort à Harvard", puise avec délectation dans un grand coffre à jouets bourré d'éléments issus des pulps des années 1920 ou 1930, dans lequel des montagnes hallucinées et des hommes de bronze voisineraient avec des prestidigitateurs hypnotiseurs et télépathes ou des excavateurs pelllucidariens.

À la fois hilarant, rusé, ultra-référentiel et néanmoins d'une digestibilité et d'une maîtrise narrative hors du commun, un grand roman.

"Une fois, alors que Notre Héroïne était âgée de seize ans, elle avait fait rouler sous la table deux malfrats norvégiens de cent dix kilos. Sa mère avait dévoilé leur réseau de contrebande et ils avaient retenu l'adolescente captive dans le sous-sol d'une mercerie pendant deux jours. Jamais à court d'idées, cependant, Notre Héroïne avait réussi à les convaincre de jouer au Roi qui boit (un jeu à boire dont ils lui avaient parlé le premier jour de sa captivité), simplement pour passer le temps, soi-disant.
"Il vous faudra me détacher les mains, leur avait-elle dit.
- Euh... Je sais pas trop. Le patron nous a vraiment dit de ne pas...
- Bon, on joue ou pas ? Il est certain que je n'ai pas assez confiance pour vous laisser me verser des verres dans le gosier. Ou bien vous avez peur que je vous batte tous les deux ?
- Bah, vas-y. Détache-la, Haakon."

[Charybde 4 approuve.]