Kinderzimmer
25/01/2014 Coups de coeur
Quand elle retournera dans cette classe, au lycée, Suzanne Langlois dira exactement cela : il faut des historiens pour rendre compte des événements ; des témoins imparfaits, qui déclinent l'expérience singulière ; des romanciers, pour inventer ce qui a disparu à jamais : l'instant présent.
C'est bien à ce dernier défi que se frotte Valentine Goby dans Kinderzimmer. Raconter, imaginer l'expérience concentrationnaire sous un angle totalement déstabilisant : celle d'une captivité vécue au quotidien, vue sous l'angle des sensations, des sentiments qui vous assaillent en foule. La peur, la désorientation des premiers heures, la promiscuité, la découverte des règlements et du langage créé de toutes pièces par des détenues venues des quatre coins de l'Europe. Le corps qui se transforme et souffre au fil de la faim, des brimades, de la folie et du sadisme des tortionnaires.
Et puis, aussi, les menus actes de résistance face à l'ennemi, preuve qu'on existe encore, malgré tout. Les amitiés qui se nouent pour pouvoir se raccrocher à un espoir d'humanité. Les nouvelles qu'on essaie de glaner, de voler presque pour savoir si, enfin, la guerre va prendre fin.
Et surtout, pivot, point focal du récit, ce corps dont à 20 ans on ne sait presque rien, et qui va donner la vie.
Devenir mère à Ravensbruck...
Loin, forcément et heureusement très loin des oeuvres autobiographiques qu'ont laissé Charlotte Delbo, Primo Levi ou autres Jorge Semprùn, Valentine Goby emprunte les chemins de traverse de la fiction et réussit un petit miracle d'équilibre : évoquer l'insoutenable sans jamais oublier l'espoir et la lumière.