Le voyage d'Octavio
13/01/2015 Coups de coeur
À Saint-Paul de Limon, un village aux alentours de Caracas transformé en bidonville au cours de la première moitié du XXème siècle, Don Octavio mène une vie solitaire et minuscule, emmuré dans son analphabétisme, donnant un coup de main, mais sans prendre part aux vols, à une confrérie de cambrioleurs qui ont transformé l’église locale désaffectée et délabrée en caverne aux trésors, qui abrite les objets de valeurs dérobés avec discernement aux notables locaux.
«Personne n’apprend à dire qu’il ne sait ni lire ni écrire. Cela ne s’apprend pas. Cela se tient dans une profondeur qui n’a pas de structure, pas de jour. C’est une religion qui n’exige pas d’aveu.
Cependant, Don Octavio avait toujours gardé ce secret, creusé dans son poing, feignant une invalidité qui lui épargnait la honte. Il n’échangeait avec les êtres que des mots simples, taillés par l’usage et la nécessité.»
Sa rencontre fortuite avec une femme nommée Venezuela, son apprentissage tardif de la lecture et son implication non volontaire dans l’activité des cambrioleurs vont le lancer sur les routes du pays, et faire peu à peu advenir son destin.
«Quand il parvint à lire une phrase entière sans hésiter, et qu’il ressentit l’émotion brutale de la comprendre, il fut envahi par le désir violent de renommer le monde depuis ses débuts.»
Parcours épique aux rebondissements multiples, dans laquelle le destin d’un homme anonyme transfiguré symbolise celui de tout un peuple, «Le voyage d’Octavio», premier roman de Miguel Bonnefoy paru en janvier 2015 aux éditions Rivages, célèbre la beauté du Venezuela et le pouvoir magique du langage pour posséder le monde, en une fable d’un enchantement sombre qui mêle l’histoire de ce pays, la légende chrétienne et l’irrationnel.
«Les femmes le voulaient pour fils, les filles pour époux. À El Dique, on lui offrit la colline en héritage. Octavio continuait son chemin. Dans sa marche, il avait pour le monde un dévouement presque poétique. Certains parlaient d’un géant né d’un torrent, d’autres d’un esclave arraché à la liberté. Quand on lui demandait, il répondait qu’il venait de la terre.»