Lutte des classes
08/05/2014 Coups de coeur
Roman publié en 2009 en Italie, «Lutte des classes» d’Ascanio Celestini a été magnifiquement traduit par Christophe Mileschi et publié en 2013 en français aux éditions Notablia.
Héritier du théâtre de narration en Italie, Ascanio Celestini met en scène des narrateurs aux personnalités singulières, et dénonce par leurs voix toutes les formes d’aliénation de nos sociétés contemporaines.
Partant ici du cas de travailleurs sous-payés d’un immense centre d’appel de la banlieue de Rome, il met en scène ici quatre narrateurs, Salvatore jeune adolescent très intéressé par le sexe et le mystère de la disparition de ses parents, Marinella jeune femme solitaire à cause de son bec de lièvre et employée du centre d’appel, Nicola le grand frère de Salvatore et soutien de famille, qui travaille jour et nuit dans le centre d’appel, et enfin Patrizia, jeune femme plus traditionnelle, subissant encore davantage l’écrasement, jusqu'au point de rupture.
Dénonçant les injustices et la précarité, la violence de l’entreprise et des petits kapos, la violence envers les femmes et ceux qui sont différents, les dégâts de la mondialisation, de la consommation de masse et le désastre écologique qui s’ensuit, le contrôle des media par les pouvoirs politiques et financiers, la bêtise de la doctrine religieuse, Celestini est, malgré la dimension tragique de ses récits, toujours extrêmement ironique et drôle. Et c’est avec cette ironie mordante qu'il pointe du doigt que la lutte des classes est bien une réalité.
«Le jour où on a protesté contre la pénalité de cinq centimes, nous regardions les chefs qui nous regardaient. Ils auraient bien aimé pouvoir nous démonter pour comprendre quel mécanisme s’était cassé à l’intérieur de leurs poupées, pour nous renvoyer à l’usine et faire jouer la garantie. Mais voilà, Barbie se fout en rogne et défonce sa parfaite petite maison. Elle fait cuire une queue de bœuf dans ses petites casseroles et elle empuantit la chambre à coucher de sa petite maitresse en faisant revenir des oignons. Elle chie et elle pisse pour de vrai dans ses petites toilettes roses, elle a besoin d’eau pour tirer la chasse et du tout-à-l’égout municipal pour ne pas attraper le choléra. Elle veut un salaire décent pour s’acheter des vêtements décents au lieu de ses loques décorées de faux diamants. Des sous à dépenser comme ça lui chante, pour un livre ou un morceau de pain, un vin millésimé ou une bière médiocre, un voyage à Lourdes ou une pastille de drogue synthétique. Elle veut être engagée en CDI et elle ne veut plus mesurer vingt centimètres d’exquise beauté pour mendier un peu de pitié affectueuse auprès d’une gamine gâtée qui pue le bonbon à la fraise. Elle exige le treizième mois et les congés payés pour pouvoir aller en Inde ou passer deux semaines enfermée à choisir des divans chez IKEA. Elle réclame le droit d’être soignée quand elle est malade, quand son fidèle Ken lui tient les cheveux pour l’aider à vomir dans une bassine à côté du lit.»
Avec une fantaisie et une vivacité d’enfant, une capacité intacte à questionner le monde et à se révolter pour la cause d’une humanité menacée d’écrasement, Ascanio Celestini déploie une langue très poétique qui rappelle Ian Monk, des textes jubilatoires qu’on a aussi envie d’entendre sur la scène, dits à la face du monde.