Pop Yoga
20/12/2013 Notes de lecture
Somme provisoire et formidable exégèse de la mythologie contemporaine issue de la pop culture.
Publié chez Sonatine à l’automne 2013, ce recueil de textes et d’articles de Pacôme Thiellement, publiés entre 2000 et 2013, incluant 7 inédits, constitue certainement l’une des plus formidables plongées et tentatives d’éclairage de bon nombre de mythes contemporains, de leurs racines parfois anciennes, occultes et gnostiques ou non, et surtout de leur ancrage décidé dans une pop culture qui continue, malgré tout, d’être encore trop largement ignorée ou méprisée en France par la littérature « noble » et par le monde académique, contrairement à ce que l’on observe massivement depuis une quinzaine d’années en Espagne, en Italie, en Russie, au Japon ou aux États-Unis…
Pacôme Thiellement parcourt ici inlassablement, avec la passion et la vaste culture d’un passeur tous azimuts, comme il nous l’avait déjà montré, notamment, dans le magnifique « Les mêmes yeux que Lost », un terrain d’une rare richesse, où sont convoqués, disséqués et enrichis tour à tour, pour ne citer que quelques exemples frappants, Freud et Jung confrontés au président Schreber, David Lynch effectuant son saut à partir de « Twin Peaks », créant une onde de choc qui ira progressivement s’amplifiant, jusqu’à provoquer le « Lost » d’Abrams et Lindelof, cherchant ce que la pop star et la rock star peuvent vouloir nous dire, avec Elvis, les Beatles, les Rolling Stones ou Nirvana, bien entendu, mais aussi avec Pink Floyd, Bob Dylan, David Bowie, les Residents, Joy Division, le Velvet Underground, Mike Patton, ou encore et peut-être surtout Frank Zappa.
L’article focalisé sur Zappa (« Oncle Jihad », inédit) est l’un de ceux qui expriment le mieux la substance de ce recueil, où le recours aux quêtes mystiques et gnostiques n’occulte jamais la nature profondément sociale et politique de ce qui est mis en jeu dans cette reformation permanente de nos mythes. L’inattendue et passionnante lecture de l’ensemble des « Philémon » de Fred, en dehors d’un hommage fervent à l’essence même de la BD, réussit aussi ce petit miracle de mise à jour englobante d’un sens extrêmement fort.
Inséparable pour Pacôme Thiellement – ce qui fait à mon sens une de ses grandes forces par rapport à d’autres approches – d’une sociologie de la réception, fût-elle implicite, la résonance de cette pop culture se nourrit d’une audience de masse (d’autant plus lorsqu’elle se crée ou se révèle « populaire », de bas en haut, et non uniquement fabriquée en « mass entertainment », de haut en bas), et les grandes rock stars comme les séries à forte audience dans la durée (« Buffy », et la révolution souvent mésestimée qu’elle représente, singulièrement) peuvent ainsi voisiner avec les sources plus cachées, plus confidentielles certainement, mais qui irriguent en profondeur l’art et la pratique de leurs émules à succès public (et c’est ici que l’auteur fait intervenir avec beaucoup de vista des auteurs comme José Lezama Lima, James Joyce ou Malcolm Lowry, des musiciens comme Secret Chiefs 3, ou des cinéastes comme Jacques Rivette, aux côtés d’un Joseph Heller ou d’un Philip K. Dick davantage lus, d’une Amy Winehouse davantage écoutée, ou d’un Roman Polanski davantage vu ).
Un recueil foisonnant donc, indéniablement, dont on peut évidemment contester certaines des liaisons établies entre les œuvres et les sociétés qu’elles expriment, particulièrement lorsque l’occultisme envahit par instants la scène, mais surtout passionnant de bout en bout, ouvrant des dizaines de perspectives le plus souvent insoupçonnées, ou confortant des rapprochements de prime abord surprenants. L’un de ces grands et beaux livres, donc, terribles aussi par le nombre de lectures supplémentaires vers lesquelles ils pointent d’un sourire engageant.