Romanciers pluralistes
13/12/2013 Coups de coeur
Passionnante, ambitieuse, profonde et vivante lecture d'auteurs phares parfois réputés difficiles.
Publié à l’automne 2013, cet ample essai de Vincent Message, après son roman « Les veilleurs » de 2009, est sans doute l’un des plus intéressants, réjouissants, ambitieux et néanmoins abordables qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.
Professeur de littérature comparée à l’université Paris-VIII, l’auteur réussit à la fois une lecture particulièrement riche et pertinente de la notion de « pluralisme » dans le roman, mais y ajoute avec brio d’audacieux « ponts » avec cette même notion en philosophie et en politique.
S’appuyant de manière détaillée sur cinq romans emblématiques pour son propos (« Terra Nostra » de Carlos Fuentes, « Tout-monde » d’Édouard Glissant, « L’homme sans qualités » de Robert Musil, « L’arc-en-ciel de la gravité » de Thomas Pynchon, et « Les versets sataniques » de Salman Rushdie), mais convoquant lorsque nécessaire, avec la même vigueur, Hermann Broch, Italo Calvino, Umberto Eco, Doris Lessing, Orhan Pamuk ou encore Milorad Pavic, Vincent Message s’attelle – et parvient – à une sérieuse réactualisation du travail de Mikhaïl Bakhtine autour de la polyphonie dans le roman, en allant à la fois sensiblement plus profondément, en élucidant le halo de flou et d’imprécision qui finit par entourer le travail du Russe à force de galvaudage ces dernières années, et en lui rendant un bel et justifié hommage.
Travaillant sur les points de vue de narration, le traitement des opinions exprimées et les voix des protagonistes, l’auteur décrypte les liens existants – ou pouvant être légitimement établis – entre ces romanciers foisonnants par excellence, et les impacts philosophiques et politiques d’une mondialisation ayant pris des caractéristiques bien particulières et pas toujours « démocratiques » depuis le milieu des années 1930. Par un savant détour impliquant les philosophes pragmatistes connaissant un véritable renouveau d’intérêt depuis une dizaine d’années (et tout particulièrement William James), il propose une passionnante lecture des faits (et des ambiguïtés potentielles) que sont multi-culturalisme et métissage, mais aussi pluralisme religieux et pluralisme scientifique, en dégageant avec sérieux et enthousiasme l’apport crucial de la littérature (et bien entendu, au premier chef, des romanciers « pluralistes » les plus ambitieux en son sein) en la matière.
Une lecture passionnante de 460 pages, fournissant à la fois, d’une formidable clarté, une grille de lecture et d’approche d’auteurs réputés parfois « difficiles », et une enthousiasmante envie de lectures, centrales et complémentaires. À recommander aux passionné(e)s exigeant(e)s de littérature sans la moindre hésitation.