Thérèse en mille morceaux
22/07/2013 Coups de coeur
À Haïti, une femme raconte sa libération intime sous l'apparence de la folie. Puissant.
Publié en 2000, le deuxième roman de l’Haïtien Lyonel Trouillot frappe fort.
La narration prend place au Cap Haïtien, la capitale régionale du nord d’Haïti, sans doute dans les années 50. La jeune Thérèse prend un cahier d’écolier et un stylo-bille pour écrire, en se libérant, les circonstances de son départ, solitaire et radical, vers une nouvelle vie.
« Parce que j’ai brusquement pris conscience d’avoir été jusqu’à ce jour quelque chose comme un « être-là », une réalité totalement extérieure à sa propre existence (pas même un vrai mensonge, juste une hésitation plus coutumière que motivée), j’ai décidé d’écrire. Autant pour assurer ma phrase que pour me fonder en action. Tout Thérèse n’a été qu’un vieux tas d’expressions du type mi-chaud, mi-froid, entre chien et loup, mi-figue, mi-raisin. Comme habitée par mille destinées incompatibles, je réalise qu’à mon insu quelque chose éloignait ma main droite de ma main gauche, interdisant à mes élans le moindre geste à l’unisson, qu’il fût de joie ou de colère. Mes pas s’arrêtaient à chaque virage ; ma tête, mon corps, mes rêves marchant comme un canard, chacun tirant mes ficelles dans des directions opposées. Thérèse à jamais disloquée a donc choisi d’écrire. »
Venant juste d’être saisie par des crises aiguës de schizophrénie, qu’elle racontera aussi dans son cahier, une autre Thérèse, violente, intempestive et iconoclaste, a été provisoirement libérée, sous l’apparence de la folie, pour l’entourage, pour casser, heurter, créer le déclic permettant à la narratrice de s’affranchir de l’ « ancienne » Thérèse, deuxième fille éternellement soumise et résignée d’un père propriétaire terrien ruiné, coureur effréné de jupons, mort alors qu’elle était toute jeune, criblé de dettes, et d’une mère inflexible, confite en religion, en désespoir et en maintien à tout prix d’une dignité de façade, et sœur cadette d’Elise, qui lui a terriblement montré la voie en matière de résignation et d’effacement, alors que le vieux pharmacien, mari d’Elise, songe secrètement, peut-être, à d’autres vies possibles.
Un texte puissant, étonnamment poétique, sur une libération intérieure hors du commun et un refus radical de la résignation, même « habillée ».