Titus d'Enfer
29/08/2011 Coups de coeur
1946 : le premier volet de la trilogie qui marque le sublime aboutissement du gothique.
Publiée en 1946 (en 1974 en français), la première partie de la trilogie de Gormenghast fait comprendre au lecteur, dès ses premières pages, qu'il va vivre un moment exceptionnel.
Le roman démarre avec la naissance de Titus d'Enfer, héritier de Gormenghast - cette gigantesque et labyrinthique forteresse sans âge, d'apparence médiévale, construite au milieu du pays -, fils du mélancolique Lord Tombal et de la formidable Lady Gertrude, grande amoureuse des chats et des oiseaux, petit frère de leur énigmatique fille adolescente Fuchsia, neveu des deux tantes jumelles Cora et Clarice, et parmi un bon nombre de serviteurs plus ou moins spécialisés, parmi lesquels on compte le docteur Salprune, médecin du château, Monsieur Craclosse, majordome personnel de Lord Tombal, Nannie Glu, la vieille nurse de la noble famille, ou encore Lenflure, le monstrueux chef des non moins énormes cuisines.
Débordant d'humour noir, de descriptions subtilement horrifiantes et de grandeur gothique, ce roman proprement extraordinaire communique, tout au long de l'histoire, un sentiment d'urgence, au sein d'un environnement semblant pourtant lent et replié sur lui-même - et c'est l'une des autres merveilles de ce livre, qui a influencé tant d'écrivains majeurs de la fin du XXème siècle.
Les vieux jouets de Fuchsia, ses livres et des coupons d'étoffe colorée s'entassaient aux quatre coins de sa chambre, au centre du second étage de l'aile ouest du château. Un lit de noyer occupait toute la longueur du mur dans lequel s'encadrait la porte. En face, les deux fenêtres triangulaires donnaient sur les remparts où, un mois sur deux, à la pleine lune, les maîtres sculpteurs des huttes d'argile venaient se promener au soleil couchant. Au-delà des remparts s'étendaient les pâturages, puis les bois d'Épines qui grimpaient le long des flancs abrupts de la montagne de Gormenghast.
Fuchsia avait couvert les murs de sa chambre d'impérieux coups de fusain. À chaque extrémité de la pièce, le plâtre du mur était resté couleur de corail. Elle n'avait fait aucun effort pour le décorer. Elle ne dessinait que dans ses moments d'exaltation, lorsqu'elle était en proie à un amour ou à une haine violente, et n'avait aucun sens des proportions. Ses dessins manquaient de subtilité, mais il émanait d'eux une vitalité extraordinaire. Ces images déchaînées transfiguraient les murs au point que les jouets et les livres qui gisaient aux quatre coins de la chambre ressemblaient à de termes monticules.
À noter la superbe préface d'André Dhôtel dans l'édition Phébus de 1998, reprise en poche en Points Seuil.