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Kannjawou

Chronique d’un quartier populaire dans un Haïti occupé et dépossédé de son avenir.

«Un pays occupé est une terre sans vie.»

Depuis son bout de trottoir d’un quartier populaire d’une ville haïtienne, le narrateur de «Kannjawou» regarde et témoigne, sous forme de chronique des gens et des lieux, de la violence de l’exclusion sociale et de l’érosion des espoirs, dans un pays occupé et contrôlé par les forces militaires américaines et les organisations internationales depuis tant d’années. La rue de l’Enterrement qui se termine au grand cimetière où il loge, un «quartier habité par autant de morts que de vivants», apparaît comme un lieu aussi réel que symbolique du poids de cette occupation interminable et du cloisonnement social, qui minent tout espoir d’un projet collectif d’avenir.

«Dans le groupe, je suis le petit dernier. Et le scribe. Man Jeanne m’encourage. Écris la rage, le temps qui passe, les petites choses, le pays, la vie des morts et des vivants qui habitent la rue de l’Enterrement. Écris, petit. J’écris. Je note. Mais ce n’est pas avec les mots qu’on chassera les soldats et qu’on fera venir l’eau courante. Hier, ils ont encore attaqué des manifestants avec des balles en caoutchouc et des lacrymogènes. Peut-être qu’un jour c’est eux qui nous chasseront.»

La voix du narrateur donne vie à une galerie de personnages issus de classes défavorisées – une bande d’amis d’enfance, devenus jeunes adultes, qui tentent de se battre pour plus de justice sociale, avec peu de moyens et surtout peu d’espoir. Autour de Wodné, révolté embourbé dans une pensée radicale, en proie à un ressentiment qui s’est transformé en haine, de Popol, le frère du narrateur, dont le silence trahit peut-être déjà la résignation, autour de personnages féminins magnétiques, et soumis à des pressions économiques et sociales écrasantes, Joëlle et Sophonie, il y a aussi man Jeanne, doyenne de la rue de l’Enterrement et mémoire du quartier, des joies passées, des famines et de la première Occupation, et le petit professeur, intellectuel plus âgé originaire d’un quartier un peu plus haut placé, dans cette ville où la géographie reflète les inégalités, poussées à l’extrême, entre riches et pauvres.

 

Ce qui relie ces personnages c’est le pouvoir des mots, qu’ils ont eu la chance de découvrir très tôt, qui les protège, leur permet de questionner et de décrire le monde, dans une société où littérature et parole politique semblent intimement liées, mais qui souligne aussi leur impuissance à transformer ce monde.

«Je sais aussi que, depuis l’enfance, tous mes pas me ramènent au bord du trottoir, devant la maison de man Jeanne. Mon lieu de méditation où, sentinelle des pas perdus, je passe mon temps à cogiter sur la logique des parcours. Sentinelle des pas perdus. C’est le petit professeur qui m’appelle ainsi. Pourtant il est comme moi, avec trente ans de plus. Ou je suis comme lui, avec trente ans de moins. Sentinelle des pas perdus. Sans pouvoir rien y changer, nous passons beaucoup de temps à deviser sur les itinéraires. Et le soir, nous nous posons des questions qui restent sans réponse. Quel chemin de misère et de nécessité a emprunté un garçon né dans un village du Sri-Lanka ou dans un bidonville de Montevideo pour se retrouver ici, dans une île de la Caraïbe, à tirer sur des étudiants, détrousser les paysannes, obéir aux ordres d’un commandant qui ne parle pas forcément la même langue que lui ? Quel usage est fait de la part de sa solde qu’il envoie dans son pays à une mère ou à une épouse ?»

Kannjawou évoque l’idée d’une grande fête, cette fête dont rêve un des personnages à la fin de sa vie, une fête rêvée et dans cesse ajournée, dans une terre d’Haïti où les lieux et les choses comme les espoirs sont bancals et dégradés, à cause de cette occupation qui ne dit pas son nom, des inégalités de richesse et du cloisonnement social.
Mot lui-même détourné, par un occupant s’est approprié le pouvoir et les joies, Kannjawou est le nom du bar à la mode où travaille Sophonie, un bar fréquenté par les experts et les consultants, cette élite en perpétuel transit qui, tels les enfants gâtés d’un monstre avide, secondée par la bourgeoisie et les technocrates locaux, décide du sort d’un pays sans vraiment le connaître, avant de s’envoler ailleurs pour une nouvelle mission.

Comment être soi-même quand on est occupé ? Comment avoir des désirs et un corps collectif et souverain, comment faire la fête quand on est soumis à la pauvreté et à l’arbitraire ?

«Peut-être n’y a-t-il rien de pire que d’atteindre l’âge adulte dans une ville occupée. Tout ce qu’on fait renvoie à cette réalité. L’amitié a besoin d’un fond de dignité, quelque chose comme une cause commune. Nous avons perdu ce bien commun, toujours virtuel, qui s’appelle l’avenir. Nous sommes dans un présent dont nous ne sommes pas les maîtres. Chaque uniforme, chaque démarche administrative que nous devons entreprendre, chaque bulletin de nouvelles, tout nous rappelle à notre condition de subalternes.»

En s’inscrivant directement dans l’actualité pour son dixième roman, qui paraît en janvier 2016 aux éditions Actes Sud, Lyonel Trouillot prouve, une fois de plus, avec un souffle rageur puissamment poétique, évocateur du «Meursault contre-enquête» de Kamel Daoud, qu’il a le pouvoir de posséder la vérité de son pays, selon l’expression de René Philoctète.

Ouvertures et fermetures exceptionnelles en décembre

La librairie sera ouverte exceptionnellement :

- le lundi 14 décembre et le mardi 15 décembre

- le lundi 21 décembre et le mardi 22 décembre

- le lundi 28 décembre et le mardi 29 décembre

 

Et fermera pour les fêtes :

- le vendredi 25 décembre, le samedi 26 décembre et le dimanche 27 décembre

- le vendredi 1er janvier, le samedi 2 janvier et le dimanche 3 janvier

Fin d'année 2015 : nos "parfaits pour offrir"

Le choix de Charybde 1 : l'aventure

Neverhome, de Laird Hunt, le parcours terrible d'une femme prenant les armes en pleine Guerre de Sécession. Poétique et puissant.

Bric-à-brac man, de Russell H. Greenan, une succession d'arnaques rocambolesques, de coïncidences étranges et d'escroqueries absurdes dans le Boston du début du XXe siècle.

 

Le choix de Charybde 2 : inclassables

Le dictionnaire khazar, de Milorad Pavic, un roman-univers abyssal au carrefour des religions et des rêves. Et c’est ainsi que naît un chef d’œuvre.

Nord-nord-ouest, de Sylvain Coher, singulier récit d’une traversée de la Manche en novembre par trois jeunes fuyards, navigateurs novices. Un conte d'automne, tragique, social et politique.

 

Le choix de Charybde 3 : filles et femmes

Panthère de Brecht Evens, une superbe bande dessinée au graphisme très personnel et à l'histoire ambigüe.

Ce coeur changeant d'Agnès Desarthe, un magnifique roman d'apprentissage au féminin.

 

Le choix de Charybde 4 : déviances et tentacules

Le démon de l'île solitaire, d'Edogawa Ranpo, entre le roman d'horreur et l'enquête policière, déviances et perversions dans le Japon des années 30.

La cité des Saints et des fous, de Jeff Vandermeer, un grand livre de fantasy moderne, une ville cruelle racontée par une plume inventive.

 

Le choix de Charybde 7 : jeux de pistes

Or noir, de Dominique Manotti, une remarquable enquête marseillaise au moment où la libéralisation du commerce du pétrole fait naître des appétits démesurés.

Archives du vent, de Pierre Cendors, un splendide roman labyrinthique et troublant, entre jeu de pistes et thriller, entre imaginaire et réel, invention et miroir.

 

 

Fin d'année 2015 : une sélection de "beaux livres"

Une partie de notre sélection de beaux livres et assimilés, disponibles à la librairie :

Panthère, de Brecht Evens

Les amateurs, de Brecht Evens

Les noceurs, de Brecht Evens

Oz, de Stéphane Levallois

La jetée, de Chris Marker

Cent mille milliards de poèmes, de Raymond Queneau

Vertiges de la lenteur, du collectif La femelle du requin

L'atelier de Sony Labou Tansi (coffret)

Mythiq27 de Collectif

Périphérique, terre promise  de Léo Henry, Luc Gwiazdzinski, Eric Besnier, Marie-Pierre Dieterle, Pieter Jan Louis, Thomas Louapre, Ludovic Maillard et Sébastien Sindieu

Opus IX, La Demeure du chaos de Thierry Ehrmann & collectif

Mondes et voyages, de Didier Graffet

Ligatura, de Steve Tomasula

La mariée mécanique de Marshall McLuhan

Le soleil des Scorta, de Laurent Gaudé et Benjamin Bachelier