Jaume Cabré, Confiteor
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Publié en 1964, "Sometimes a Great Notion" est le deuxième roman de Ken Kesey, l'auteur de "Vol au-dessus d'un nid de coucou", l'auteur dont les voyages délirants de sa bande des Merry Pranksters furent célébrés par Tom Wolfe dans son "Acid Test", l'auteur qui disait de lui-même, vers la fin de sa vie, avoir été "trop jeune pour être beatnik, trop âgé pour être hippie", et en avoir pourtant réussi l'improbable synthèse.
Publié en français cet automne (octobre 2013) dans une traduction d'Antoine Cazé par l'éditeur décidément inspiré Monsieur Toussaint Louverture, ce roman est aujourd'hui souvent considéré comme le meilleur de l'auteur, et à la lecture, cette opinion aussi flatteuse que relativement tardive semble pleinement justifiée.
D'une famille de rudes bûcherons de l'Oregon, confrontée à sa propre histoire, à ses pulsions, à ses forces immenses et à ses faiblesses du même ordre, Ken Kesey a su tirer une fresque des années 50 dans l'Ouest américain qui, à l'instar des plus grands Faulkner, sait mêler le drame intime aux résonances de tragédie grecque avec la trame sociale et politique sous-jacente, dans laquelle des conflits entre travail et capital mettent aussi à nu aussi bien les pires travers des États-Unis que les sources enfouies d'une fierté considérable.
Il ne faut pas "raconter" ce "Et quelquefois j'ai comme une grande idée", quand bien même l'inexorable fil des vengeances écrites, des haines recuites et des remords inutiles, dans cette bourgade fictive, semble parfois prévisible au lecteur - qui sera presque toujours désarçonné lorsque la VRAIE tragédie apparaîtra, et qui constatera, après coup, toute la virtuosité de Kesey dans le maniement de la montée de l'intensité dramatique...
Personnages d'une immense subtilité sous leur écorce de cliché de l'Ouest, jeux de langage et de références parcourant tout le spectre des romanciers du terroir et de la ville, où Faulkner regarderait en souriant malicieusement les enchaînements de prises de lutte libre ou les coups plus ou moins orthodoxes de boxe entre Caldwell, Capote, Dos Passos, Steinbeck et, mais oui,... Abbey.
Huit cent pages de très grand art du caractère et du récit, qui vivront en vous bien des jours après avoir refermé l'ouvrage, et l'un des livres à ne pas rater dans la production de cet automne, assurément.
"Celui qui avait choisi l'endroit où suspendre ce bras au bout de sa perche avait tout fait pour donner à la scène le même air de défi à la fois comique et sinistre que la vieille maison ; celui qui s'était démené pour que le bras vienne osciller bien en vue depuis la route avait aussi pris la peine de replier tous les doigts avant de les attacher, tous sauf le majeur, de sorte que cette provocation à la raideur universelle demeure, dressée dans son mépris, bien reconnaissable par n'importe qui."
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Publié en 2004, le quatrième roman du Haïtien Lyonel Trouillot réussissait une éblouissante synthèse de sa matière intimiste et psychologisante (dans le bon sens du terme !), mais non dénuée de subtile critique sociale et historique, telle qu'elle s'exprimait dans "Thérèse en mille morceaux" (2000), et de son écriture davantage politisée tout en demeurant curieusement poétique, dont "Rue des Pas-Perdus" (2002) offrait un émouvant et terrifiant exemple.
"Bicentenaire" s'attache à la préparation de la grande manifestation étudiante du 1er janvier 2004, bicentenaire de l'indépendance de la "République noire", et à la préparation aussi minutieuse, par le régime Aristide (dont on oublie trop souvent en France, où les pendules se sont souvent arrêtées avec le duvaliérisme, puis remises en route cahin-caha au moment du séisme de 2010 et de ses suites, à quel point son échec fut accompagné, tout au long, d'une rare férocité policière), de la répression planifiée, passant par la location de bandes de voyous à l'utile agressivité pour noyer dans le sang les étudiants petits-bourgeois voulant croire un peu trop à la démocratie.
Une mère, paysanne âgée et devenue aveugle, et ses deux enfants, l'aîné étudiant, intelligent, cultivé, conscient de certaines réalités et de certains risques, mais décidé à défiler coûte que coûte, et le cadet, terreur du quartier, voyou et trafiquant, mettant sa foi dans son "gun", avertissant à demi-mot son frère de ce qui va se passer...
La langue de Lyonel Trouillot est presque unique, et opère de manière presque magique lorsqu'elle est confrontée à la violence prosaïque de ce "sujet". Sa précision, sa poésie, sa légèreté habile pour voltiger entre les registres lexicaux mis en œuvre, fait tout particulièrement merveille dans ce "Bicentenaire".
La réalité d'Haïti, ses effrayantes complexités servant aussi d'excuse, comme les attachantes passions qui "continuent à y croire", ne s'expriment sans doute nulle part aussi profondément que dans l'écriture de ce grand poète en prose.
"L'étudiant descendait la colline en caressant le sol de ses pas pour ne pas réveiller son frère qui dormait encore dans la chambre commune la tête sous l'oreiller, la bouche heureuse tétant un pouce et toute la paix du monde régnant sur le visage, une paix durable comme l'enfance et fragile comme elle, une paix hors contexte sur cette face d'ange délocalisée faisant mal corps avec la suite, les bras, le torse, les jambes, jusqu'à la plante des pieds, tatoués de héros et de slogans hétéroclites : Guevara, Wycleef Jean, Tim Duncan, shoot to kill, les femmes c'est de la merde, les rats pourrissent dans leur trou, je veux tout, peace and love. Les réveils étaient douloureux, violents, et l'étudiant n'avait pas le cœur à engager le combat avec ce corps livre et spectacle qui voulait dire en même temps chaque chose et son contraire."
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On ne vous le cache pas, l'automne sera Charybde, et en intensité. Pour suivre, n'hésitez pas à consulter notre page Evénements, pour un programme plus complet.
En attendant la folie d'octobre, un petit rappel des dates de septembre :
Vendredi 13 septembre, nous sommes extrêmement fiers d'accueillir Lyonel Trouillot, l'un des plus grands écrivains haïtiens contemporains, pour fêter la parution de son dernier roman La parabole du failli (Actes Sud), dont les prédécesseurs nous enchantent depuis plusieurs années déjà.
Mercredi 18 septembre, nous vous proposons de découvrir une cathédrale littéraire : Confiteor (Actes Sud) en présence de son auteur Jaume Cabré. Un livre très difficile à décrire, brillant et bouleversant, une claque monumentale de cette rentrée littéraire.
Jeudi 19 septembre, nous organisons pour la troisième fois une Soirée Rock & Littérature avec un showcase d'Edward Barrow (Volvox Music) et le tout nouveau, magnifique et captivant Riviera (Actes Sud) de Mathilde Janin, une histoire inspirée par l'amour, la musique, la rage, le talent et le rock.
A bientôt en Charybde ou en ligne !
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Publié fin août 2013 chez Fayard, le septième ouvrage de Philippe Vasset réussit une brillante synthèse, enlevée, des deux thématiques principales de ses travaux antérieurs : la géographie des espaces vides, abandonnés ou interstitiels dans un tissu urbain et péri-urbain toujours plus dense, toujours plus surchargé de sens devenu vide ("Un livre blanc", 2007 ; et déjà, en fait, "Carte muette", 2004), et la marchandisation désespérée d'activités diverses et improbables ("Journal intime d'un marchand de canons", 2009 ; "Journal intime d'une prédatrice", 2010 ; voire, déjà, "Exemplaire de démonstration", 2003).
Le narrateur, qui est peut-être celui du "Livre blanc" justement, fasciné par les friches industrielles, bâtiments abandonnés, espaces "hors la ville et hors la frénésie", se trouve en voie de paisible clochardisation, moitié par inadaptation au rythme et à la violence d'une civilisation prônant toujours plus sans le dire le lemming habillé Cerruti comme idéal social, moitié par volonté insidieuse de retrait personnel, est enrôlé par une vieille connaissance, écrivain mondain sur le retour, qui cherche à monter, juteux business, une secte, dont la partie "croyances fondamentales" est totalement secondaire, l'habillage mystique important et plutôt facile, mais le choix de lieux de culte, de célébration et de fête hallucinée autrement plus central et délicat, d'où le rôle de l' "expertise" accumulée par le narrateur.
Cette "business research" en amont du projet est ainsi l'occasion d'une savoureuse revue du "marché" de la secte et de la transe mystique, avec cette verve cynique et hautement crédible techniquement qui enchantait déjà le lecteur (lassé des palinodies de tant d'écrivains contemporains prétendant décrire de l'intérieur les pratiques de la grande entreprise ou de la haute finance, mais n'en proposant qu'une vision convenue, tronquée et souvent bien malhabile) du "marchand de canons" (marchandisation de la violence d'État ou de bande organisée, univers de la grande multinationale) ou de la "prédatrice" (marchandisation du réchauffement climatique, univers du fonds géant d'investissement).
Las, tandis que le projet avance doucement, mais patine beaucoup (ce marché n'est finalement pas aussi simple qu'il le paraissait de prime abord, au grand dam de l'écrivain en voie de reconversion et de quête effrénée d'argent facile), le narrateur, à force de fréquenter toujours davantage de lieux urbains propres à des célébrations ésotériques sauvages et rémunératrices pour leurs instigateurs, entre en fascination de plus en plus puissante avec l'occupation "invisible" de locaux d'entreprise réels, et absolument pas abandonnés.
Un glissement progressif d'univers, du "gros" interstice de la friche urbaine au "minuscule" interstice du placard à lessiveuses industrielles, dans lequel le narrateur va progressivement perdre, volontairement, son identité résiduelle, devenant sans le chercher le guide d'une étrange tribu s'agrégeant autour de lui, nouveaux nomades, chasseurs et cueilleurs, hantant les immeubles de bureaux et les appartements bourgeois la nuit, se fondant dans le décor le jour, libres et "nus". De cette errance, l'écriture de Philippe Vasset parvient à extraire à la fois une étonnante crédibilité (sur une pareille prémisse !) et une indéniable poésie.
Une lecture salubrement dérangeante sur le fond, hautement jouissive à chaque page, et nimbée d'une beauté bien mystérieuse.
"Glissant sans fin sur ces sols immaculés, j'ai invoqué en silence les forces de la désaffection, priant pour que dans dix, vingt ans, Le Millénaire connaisse une faillite ignominieuse et soit contraint d'abandonner ses "espaces de convivialité", ses décorations joviales et ses vitrines proprettes aux squatteurs et aux vandales.
La tête pleine d'images de ruines et de désastres, je me suis arrêté, juste avant la sortie, devant un local retraçant l'histoire du centre. Parmi les photographies et les plans, l'architecte Antoine Grumbach ("marchand de ville", comme il se qualifiait lui-même dans un film diffusé en boucle) avait exposé quelques livres dont la lecture avait supposément inspiré la conception du Millénaire. Parmi ces ouvrages figuraient "Molloy" de Beckett, "Ulysse" de Joyce et "Je me souviens" de Georges Perec. Le visiteur était censé comprendre que l'implantation du Millénaire à Aubervilliers participait de la création contemporaine la plus radicale. Que, bien sûr, c'était un espace d'achat, mais que c'était tellement plus que cela : un laboratoire pour la ville de demain, un jalon dans l'histoire de l'architecture durable, bref une véritable "fresque", presque une "vision" généreusement offerte aux regards des consommateurs venus remplir leur réfrigérateur ou s'équiper en électroménager.
Ainsi, non seulement on m'avait chassé de ma retraite favorite pour construire un centre commercial, mais on avait poussé le vice jusqu'à le faire au nom d'écrivains que j'aimais (la référence à Georges Perec, que je vénère, n'était ni plus ni moins qu'un affront personnel caractérisé). Une colère froide me submergea et je me mis à gribouiller, rageur, des commentaires hostiles, voire franchement insultants, sur le cahier destiné à recueillir les remarques des visiteurs."
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Publié en 1990, le troisième roman d'Éric Chevillard est peut-être celui où, tout à coup, cette forme si particulière de jeu narratif, esquissée dans "Mourir m'enrhume" et "Le démarcheur", tombe en place, et lance ce formidable mouvement, incessant et vers l'avant, qui dans une gestion unique de l'absurde, du nonsense foisonnant de Sterne et de Carroll - magnifié par une rarissime maîtrise des moindres creux et vallons de la langue -, nous enchante donc depuis vingt-trois ans.
La famille étendue et quelques amis, assemblés autour du repas dominical, assistent avec étonnement à l'éclosion d'un œuf à la coque, sans doute insuffisamment cuit. L'animal Palafox en sort. Qu'est Palafox exactement ? On ne sait pas, même si chacun a ou aura son idée, fluctuant avec le développement de la bête.
Son identité mouvante, qu'il s'agira de cerner au fil du récit à travers ses manifestations et ses symptômes, constitue l'enjeu de ces 185 pages. Une extravagante chasse au snark, réjouissante, au cours de laquelle le lecteur ébahi consacrera une énergie disproportionnée, sans doute, à réprimer les éclats de rire forcené qu'il sentira monter en lui.
"Maintenant, il ne trouvait plus rien à absorber. Le problème des vivres, c'était une raison supplémentaire pour tenter une sortie. Palafox donna quelques petits coups de bec prudents, encore un, et s'interrompit, guettant la réaction de son éventuel voisin. De toute façon, il ne renoncerait pas, il était prêt à en découdre, désormais plus question de reculer. L'éventuel voisin ne broncha pas, plusieurs hypothèses, ou bien il dormait, ou bien il était sorti, ou bien il était sourd, ou bien il était mort, ou bien il s'en foutait, ou bien personne ou plus personne encore ne vivait là. Palafox creva la coquille, d'un bond il faut sur la table, Algernon eut la présence d'esprit de retourner son verre sur la bête. Ainsi fut découvert puis promptement maîtrisé Palafox. On ne saurait ajouter au foi aux divagations du patron-pêcheur Sadarnac, capitaine sur le Rémora, qui prétend l'avoir ramené tout frétillant dans son chalut, puis l'avoir cédé à Algernon, balivernes."
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Jean-Louis Costes, Grand-Père
Paul Gauguin, Avant et après
Edgar Hilsenrath, Le nazi et le barbier
Anthony Burgess, Le testament de l'orange
Henry Miller, Tropique du Capricorne
Anonyme, Le Mahabharata
Günther Anders, L'obsolescence de l'homme
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Après moult passages à tabac, menaces ou insultes, Gunnar se découvre des dons : la poésie, le basket. Des amitiés : Scoby, fan de jazz qui n'a jamais raté aucun panier, Psycho Loco, chef d'un gang sans gun. Que ce soit dans une école blanche ou sur un terrain vague, Gunnar rentre dans les cases comme moi dans du 36 : ça ne va jamais. Il fait systématiquement un pas de côté. Mais on ne peut pas se construire toujours contre. A l'énergie joyeuse succède alors la mélancolie profonde, premier pas vers le suicide de masse.
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