Littérature médiévale
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Un roman noir et râpeux, de la grande littérature américaine.
Jack Leavitt est un voyou, une petite boule de haine. Né de la violence et de la folie, grandi dans l'expérience traumatisante de l'enfermement, il traîne son absence d'horizon dans les salles de billard, entre filles faciles et arnaques minables.
Jack est marqué à vie. Par la société ou la pauvreté, peut-être, le destin, pourquoi pas, la poisse ça c'est certain. Il passe de l'orphelinat à la maison de correction, puis à la prison... Il croise régulièrement le chemin de Billy, comme un double en négatif : noir, ingénu, un as au billard. Jack, lui, n'a pas de talent particulier, sinon celui de pulvériser les systèmes, toujours, pour son malheur, toujours.
Plutôt qu'un roman carcéral, Sale temps pour les braves est un roman sur une vie en pointillés, alternant en permanence entre la rage de l'enfermement et la vacuité de la liberté. Jack dépense une énergie folle à se sortir de l'ornière que le monde lui a creusé, pour y retomber toujours. A chaque sortie de prison, il y a cette volonté de repartir à zéro, de profiter enfin du reste de sa vie, et à chaque fois, une nouvelle chute.
Jack oscille aussi entre sa haine du monde et des éclairs éblouissants de naïveté (pour preuve sa découverte de la paternité lui procure une révélation absolument bouleversante et totalement ingénue).
Lu aujourd'hui, Sale temps pour les braves a ce charme désuet des années soixante. Charme tout à fait relatif quand on parle d'une littérature la plus noire et la plus terrible.
Un critique a dit : Carpenter jette de l'or dans la poussière. C'est ça, c'est exactement ça.
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Publié en 2011 (fin 2012 en France, dans une toujours efficace traduction d’Anne-Laure Tissut), le dix-septième roman de Percival Everett, brillante incursion dans le roman noir typé « Ouest américain », est largement conçu pour dérouter le lecteur, et en rendre compte sans « spoiler » trop lamentablement n’est pas évident…
Une fois de plus, Percival Everett prouve que son talent lui permet de s’immiscer avec naturel dans les codes et les marqueurs de n’importe quel genre littéraire, ou presque. Ogden Walker, shériff adjoint d’une petite ville fictive du Nouveau-Mexique, à proximité de Taos, métis afro-américain d’un père noir, disparu en ayant clamé toute sa vie sa méfiance et sa détestation de l’Amérique WASP, et d’une mère blanche, désormais aimante et paisible vieille dame, est un policier relativement peu doué, mais de bonne volonté, apprécié de son chef et de son collègue, même si l’inadaptation à la dureté du monde et la déchirure intime de son identité peuvent le hanter à l’occasion. Sa seule véritable passion (qui donne au roman ses pages les plus lyriques mais aussi son clin d’œil le plus évident au « nature writing ») est la pêche, et la fabrication des mouches qui va avec… Géographie de l’Ouest et autre clin d’œil au genre obligeant, il n’hésitera guère, lorsque nécessaire – et même si cela peut surprendre ses confrères habitués à une approche plus casanière – à parcourir en voiture les centaines de miles séparant vite les points nodaux d’une enquête, à l’instar des policiers navajos Joe Leaphorn et Jim Chee, qui, chez Tony Hillerman, disposent toutefois de puissants parapets personnels face à la folie du monde, dont notre Ogden Walker n’est sans doute pas équipé…
Pour ce roman formidablement rusé, l’auteur a multiplié les indices discrets qu’une première lecture permet difficilement de décrypter « à temps » : composé de trois parties, au faux air de nouvelles indépendantes, mystérieusement juxtaposées, il présente pourtant bien les trois marches de la « montée aux enfers » annoncée par le titre français, que le titre original, Assumption, renforçait d’une nuance ambiguë peut-être pas innocente : de même qu’Ogden Walker, confronté aux imbroglios de faux-semblants et de mensonges amassés dans la première partie autour du possible trésor de guerre d’une secte suprématiste blanche et dans la deuxième partie autour de l’éventuel magot d’un proxénète, doit se garder de suppositions trop rapides et d’acceptations trop immédiates des apparences, le lecteur devrait éviter (conseil d’ami…) les présomptions trop tentantes quant à ce qui se déroule « vraiment » sous ses yeux. Et l’on peut méditer sur l’écho ironique de cette phrase, page 65, que j’avoue avoir totalement ratée à la première lecture (et ce sera donc le seul « spoiler », j’espère) : Il examina de nouveau la pièce, passant tout au peigne fin, regardant tout ce qui ne semblait pas à sa place. Il se rendit compte que rien n’était à sa place.. Par acquis de conscience, voici l’original, encore plus directement référentiel : He looked around the room again, scanning, looking for anything that seemed out of place. He realized that everything was out of place.
Une réussite enthousiasmante, dans laquelle le talent de construction machiavélique de Percival Everett s’exprime pleinement, que je ne conseillerai pas toutefois pour un premier contact avec l’auteur, car ce vrai-faux roman policier a de quoi « trop » surprendre (au risque de décevoir) si l’on n’est pas un peu familiarisé avec la palette de ruses, de références matoises et d’écrans de fumée dont le romancier fait si aisément (bon) usage…
Il était incapable de reconnaître même un indice qui lui sauterait dessus et lui mordrait le nœud. Il avait senti que quelque chose se tramait. Il l'avait senti et n'avait rien fait, et maintenant, si désagréable et misérable qu'elle fût, Mme Bickers était morte. Détective ou pas, il fit un effort pour se reprendre et ratissa le sol, à la recherche de quelque chose que les autres flics auraient pu oublier, un cheveu, un ongle cassé, une boule de gomme, une confession datée et signée, quelque chose enfin.
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William FAULKNER Le bruit et la fureur
Göran TUNSTRÖM L'oratorio de Noël
Pierre JOURDE Le maréchal absolu
Bénédicte DES MAZERY L'ombre d'un homme
Toni MORRISON Beloved
Romain GARY La vie devant soi
Minh TRAN HUY La double vie d' Anna Song
Georges-Olivier CHATEAUREYNAUD L'autre rive
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Publié en 2007 (en 2009 en traduction française, encore plus remarquable qu’à l’accoutumée, par Anne-Laure Tissut), le quinzième roman de Percival Everett livre une violente dénonciation de la torture à l’américaine, « accidentelle » (Abou Ghraïb) ou institutionnelle (Guantanamo), mais est aussi beaucoup plus que cela.
Écrivain à grand succès de romans à l’eau de rose sous le pseudonyme d’Estelle Gilliam, l’ex-philosophe universitaire Ismaël Kidder bascule dans l’horreur lorsqu’un matin sa petite fille, sous la garde de sa mère dont il est divorcé, croise le chemin d’un psychopathe qui la supplicie. Face à ce choc impensable, le penseur rationnel sombre dans une dépression profonde mêlée d’une rage aussi glacée que dissimulée, et parvient quelque temps plus tard à enlever le principal suspect, relâché faute de preuves, à l’enfermer dans sa cave soigneusement préparée, et à accomplir sa vengeance…
De ce sombre fil, apparemment simple et direct, l’art de Percival Everett a concocté un ensemble magistral, curieusement polyphonique, où se mêlent, minutieusement agencés, dessins d’enfant ou de dépressif, considérations philosophiques sur les présocratiques et leur pertinence actuelle, bribes d’échanges et de dialogues gardant un pied dans le « monde réel » avec son agent littéraire, fragments de récit du conflit territorial de moins en moins larvé qui l’oppose à des cultivateurs de marijuana à propos d’une retenue d’eau, préparatifs de son forfait vengeur, éléments de réalisation de celui-ci, et même fascinants morceaux de « lâcher prise » dans lesquels la conversation et l’exposé se dissolvent, progressivement vidés de leur sens, dans un véritable parlénigm / riddleyspeak digne de Russell Hoban…
Présentant avec un étourdissant brio des enjeux politiques et moraux complexes, les broyant sans pitié, et en extrayant l’abîme bien particulier qui guette l’intellectuel « humaniste » confronté à la rage personnelle et à la perte de sens, « Le supplice de l’eau » est désormais mon roman préféré de l’incroyable Percival Everett.
L'étendue des choses n'est jamais qu'elle-même, et les limites de tout texte de fiction sont semblables aux méditations douées d'ubiquité que poursuit Zénon, réfutables mais vraies, simples en surface mais sources de trouble et d'irritation persistants, épine dans le flanc de tout voyageur. Je ne suis bien sûr que moi-même, Ismaël Kidder, mieux connu sous le nom d'Estelle Gilliam, auteur de romans à l'eau de rose. Personne ne sait que je suis Estelle Gilliam, pas dans le coin. Mon ex-femme le sait, mais elle vit très loin dans une autre vie, sur cette autre planète, avec son chagrin à elle. L'officier de police local le sait. J'ai été contraint d'avouer mon identité pour écarter ses soupçons, lui prouver que je n'étais pas, selon ses propres termes, "un salaud de fils de pute de dealer", toute personne n'ayant pas de source de revenus visible étant un dealer à ses yeux. Malheureusement, il n'est pas le seul à penser ainsi : tout le monde à Taos, au Nouveau-Mexique, est de cet avis. Je suis donc le dealer local officiel, contraint de débouter ceux qui souhaitent m'acheter de la marchandise de contrebande et soumis aux regards méprisants des autres, dealers authentiques y compris, persuadés que je leur vole des parts de marché sous la protection du shériff. (...)
Le problème que pose la compréhension d'Héraclite est qu'on ne l'a pas rangé sur les bonnes étagères. Ce n'était pas un philosophe, mais un poète. Mais on ne peut pas entrer deux fois dans la même reconstitution historique.
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Le petit homme arriva en se dandinant, grognon et l'oeil chassieux, et s'enquit non sans pertinence "Vous en êtes à combien de semaines ?"
- Cent quatre, fut la réponse de la première voisine.
Information qui fut confirmée par l'assemblée au complet, ma mère y comprise, dont les paroles exactes furent "Beaucoup trop !" Puis elle hurla "Garez-vous les filles ! Deux ans qu'il se forme et le voilà qui arrive !"
Pas Sidney Poitier : mère hystérique, père inconnu, prénom contrariant. Et Noir. Puis riche. Le bordel.
Quand, très jeune, Pas Sidney perd sa mère, il se découvre à la fois une richesse incalculable en actions CNN et un mentor : Ted Turner, le roi des médias. Il grandit sous l'aile de Ted, lequel est un peu gêné de son image de Blanc recueillant un orphelin noir. L'Amérique, quoi.
En grandissant, Pas Sidney apprend vite que son prénom va lui causer souci. Ses petits camarades le prennent pour une provocation, les adultes pour de l'humour ou de la bêtise mal dosés.
Sa vie devient plus facile quand, à la bibliothèque, il se découvre un don pour l'hypnose en autodiacte.
Sa vie se complique quand il commence à réellement ressembler à Sidney Poitier, avec des effets secondaires curieux : un pouvoir évident sur les femmes, et des rêves étranges (voire des passages entiers de sa propre vie) tout droit tirés de la filmographie de l'acteur en question.
En butte à des interlocuteurs qui le trouvent toujours trop noir ou pas assez, il est propulsé de désastres en désastres, peu aidé par ses mentors, Ted Turner et... le professeur Percival Everett : l'un ayant tendance à collapser en permanence, l'autre à lui fourguer des donuts ou de la philo de comptoir.
Comme dans Désert américain, l'Amérique passe ses obsessions au scanner lorsqu'un héros ingénu découvre l'extraordinaire effet de son état sur les autres (la mort dans Désert américain, la couleur de peau dans Pas Sydney Poitier) alors que lui-même se sent simplement... lui-même. Percival Everett a décidément un don pour les cocktails : sensibilité, humour, énergie, poésie, une très belle plume, et toujours un dosage impeccable.
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Publié en 1990 (et en français en ce début 2013 grâce à la collection Lot 49 du Cherche-Midi, dont je ne dirai jamais assez tout le bien que je pense), le deuxième roman de William T. Vollmann donnait aussi le coup d’envoi de l’un des projets les plus sainement ambitieux de la littérature contemporaine : décrire, retracer, réinventer, en sept « rêves » (dont quatre sont disponibles en américain, un cinquième étant annoncé pour 2013 – et deux en français, La tunique de glace (T1) et Les fusils (T6)), la mythologie, l’histoire et l’anthropologie de l’européanisation – puis de l’« américanisation » moderne, proprement dite - de l’Amérique du Nord.
Projet insensé, né – comme le dit Vollmann dans un entretien de 1994 – d’une soudaine songerie lors de l’écriture de son Des putes pour Gloria, qui donnait en 1991 le coup d’envoi de sa « trilogie de la prostitution » - je traduis et synthétise librement cette bribe de discussion : « Après avoir pu vérifier en 1982 lors de mon séjour en Afghanistan (cf. An Afghanistan Picture Show, 1992)) que je n’avais rien compris, malgré mes espoirs, à cette altérité « exotique », comme j’écrivais les nouvelles des Récits de l’arc-en-ciel (1989), j’ai réalisé peu à peu que je ne comprenais rien non plus à l’Amérique… Et là je me suis dit qu’il fallait repartir du début, des origines, de ce qu’il y avait avant tous ces parkings, omniprésents dans L’arc-en-ciel,… et comme plus jeune, j’avais lu plusieurs sagas norvégiennes et islandaises, le point de départ m’a semblé logique. »
Projet pensé dans ses moindres détails, car pour couvrir ces quelques siècles d’expansion des Norvégiens vers l’Islande, le Groenland puis Terre-Neuve (le Vinland), Vollmann développe ce qui deviendra ensuite sa méthode naturelle : lectures exhaustives des textes nordiques existants dont les deux Eddas, en prose et en vers, donc, mais aussi les sagas royales norvégiennes (notamment l’Heimskringla, dont la relecture constitue l’essentiel du livre I, Métamorphoses ou Comment la Tunique d’Ours fur perdue et la Tunique de Glace fut trouvée), les sagas islandaises, le Livre de la Colonisation (de l’Islande) ou encore la saga d’Erik le Rouge, adjonction de récits et de contes issus des cultures inuit (Groenland) ou micmac (Terre-Neuve), malaxage profond de l’ensemble pour résoudre (détourner, imaginer, créer ex nihilo) les incohérences, les non-dits ou les points aveugles, pour parvenir à une histoire ample, souple et cohérente, comme une véritable « tunique de glace » (ce froid intérieur, né essentiellement d’une avidité fondamentale soutenue par un objet technologique, la hache en fer) que les Vikings vont ainsi amener en Amérique du Nord… Le mélange et l’exploitation des sources, ainsi que de nombreux choix faits par William l’Aveugle sont aussi détaillés dans des notes finales abondantes et également captivantes.
Projet magnifique, dans lequel l’histoire, la légende, l’habillage fantastique et purement mythologique, les considérations économiques et technologiques, les interactions et les incompréhensions profondes entre cultures différentes, se heurtent et s’entrechoquent dans des phrases dérivées de celles des sagas, mais considérablement enrichies et questionnées, et rapportées aussi à leurs « traces » contemporaines que l’auteur a tenu à pratiquer en personne et à inclure lorsque nécessaire : paysages arctiques, désolations de la terre de Baffin, brèves anecdotes issues des visites au Groenland, rivages de Terre-Neuve…
Projet baigné de l’humour caustique et tordu de Vollmann, souvent si proche, étonnamment, de celui de Iain Banks : présent dans cette fiévreuse rêverie en tant que « William l’Aveugle », narrateur non fiable s’il en est, aimant à manier à l’occasion une brève et tranchante incise relativisant le propos univoque ou emphatique de tel ou tel personnage légendaire, confessant par avance ses possibles préjugés limitatifs et avouant d’emblée son homérique « mauvaise vue » (qui est aussi celle de Vollmann dans la vraie vie).
Projet éclairant, enfin : à la lecture de cette rugueuse Tunique de glace, l’extraordinaire réussite, l’achèvement pour ainsi dire, que constitue Les fusils apparaît dans toute sa folie et toute sa splendeur désolée. Là, conservant toute cette saveur de langue et de construction inaugurée avec La tunique de glace, mais lui ajoutant le personnage hors norme du capitaine Subzéro, remplaçant les Vikings et leurs haches de fer par l’expédition Franklin, ses conserves avariées et ses fusils, avec des certitudes morales identiques dans leur absolutisme chez les deux types de « découvreurs », Vollmann mène (presque) à son terme la quête entamée ici (même si un ultime rêve, le n°7, qui devrait concerner les Navajos et les Hopis contemporains, reste à découvrir).
Signalons aussi, comme le fait le traducteur Pierre Demarty dans ses notes, que la version française tente de coller au plus près à la musique et au verbe de Vollmann, nourri par les versions anglaises et américaines des sagas, et que l’on n’y retrouvera donc pas nécessairement le phrasé caractéristique et les choix effectués par les traductions officielles françaises des Eddas ou de l’Heimskringla, dominées par les augustes figures de Régis Boyer et de François-Xavier Dillmann.
Au total, une œuvre majeure, foisonnante et multi-dimensionnelle, dont la profondeur renouvelée à chaque chant ne cède à aucun moment devant la pure beauté du récit, et qui confirme – pour ma part – l’admiration pour l’auteur, capable d’écrire un texte pareil comme deuxième roman, à 30 ans…
Et comme le dit William l’Aveugle en guise de préface : Devrais-je faire un seul rêve ou plutôt sept ? - N'importe qui préférerait passer un seul après-midi à se graisser les talons à loisir, afin que de souples ailes puissent y fleurir, lui permettant ainsi d'aller jouer entre les ciels bleus et les toits, mais dans la mesure où je ne pourrais jamais voler, ayant revêtu La Tunique de Glace, La Tunique de Corbeau et La Tunique de Poison, je ne place aucun espoir en de frivoles ambitions. Toute tunique, si chamarrée soit-elle, n'est jamais qu'une camisole ; c'est pourquoi je ne perçois ni n'entends parler d'aucune beauté sinon parmi les nus. - Je vais, cependant, en rêver sept à présent, auxquels correspondent les Sept Âges de VINLAND LE BON. Chaque Âge fut pire que le précédent, car nous pensions chaque fois qu'il était de notre devoir d'amender ce que nous trouvions, rien de ce qui était ne se reflétant dans les miroirs de glace de nos idées. Nous n'en méritions pourtant guère le reproche, pas plus que ne sont repréhensibles les bacilles qui attaquent et détruisent un organisme vivant ; car si l'histoire a un sens (et si elle n'en a pas, alors il n'y a rien de mal à en inventer un), alors notre saccage des arbres et des tribus doit bien avoir quelque utilité. - Qu'il en soit ainsi. Le lecteur est averti que les cartes et frontières ici esquissées sont provisoires, approximatives, douteuses et fausses. Je les ai néanmoins incluses, car, dans la mesure où mon texte n'est guère plus qu'un paquet de mensonges, elles ne sauraient causer beaucoup de tort.
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Publié en 2001, le onzième roman de Percival Everett signait un nouveau coup de maître, utilisant avec
habileté narrative, intelligence érudite, et capacité d'émotion intacte, toutes les ressources d'un art aux si multiples facettes.
Nourri comme souvent de quelques ferments autobiographiques, nous suivons donc l'afro-américain professeur de
littérature et romancier plutôt confidentiel Thelonius Monk Ellison, spécialiste du structuralisme et de la déconstruction, aimé notamment de toute une intelligentsia française, lorsque, confronté à des besoins d'argent imprévus (du fait de l'assassinat de sa soeur, médecin qui acceptait de pratiquer des IVGs et s'occupait de leur mère, du divorce
ruineux de son frère, suite à la tardive révélation de son homosexualité, et du déclin, donc, de leur mère, qui voit poindre des symptômes manifestes et inquiétants de maladie d'Alzheimer), et ulcéré par le succès médiatique et commercial spectaculaire d'un roman-navet "noir issu du ghetto", alors même que son agent littéraire, résigné, lui
reproche d'écrire du "trop intellectuel" et du "pas assez noir", le romancier écrit en quelques heures un roman "brut de décoffrage" bourré de traits afro-américains caricaturaux, intégralement reproduit dans Effacement, précisément du genre dont raffolent les médias et les éditeurs, et... voit, incrédule, sa supercherie prendre toute la trajectoire d'un énorme best-seller.
Portraits subtils et drôles, dénonciations à la mitrailleuse lourde, mais tout en humour, du "prêt-à-penser" qui irrigue les milieux culturo-médiatiques américains, parcours émouvants sans "pathos" des individus normaux, de cette famille "décomposée" qui s'essaie malgré tout à la vie et à la décence ordinaire qui fut chère à George Orwell : un grand et beau roman, sous les apparentes légéreté et simplicité du propos et du ton.